Réflexions du cercle d’Avignon sur le vote blanc
Dimanche 22 janvier 2012, par
Synthèse des réflexions du groupe de Vaucluse sur le vote blanc et incidence du vote obligatoire, corollaire éventuel
Réunions des 20 octobre et 8 décembre 2011
Dans la tribune datée du 16/03/2010 du site « Rue 89 », le vote blanc est comparé à l’arme nucléaire car, comme elle, il serait une « arme de dissuasion ».
Qu’en est-il ?
Le vote blanc, reconnu - il ne l’est pas aujourd’hui par la constitution française- peut-il être significatif ? Même si l’association éponyme le qualifie d’abstention militante, son mutisme qu’il revendique ne lève pas son caractère ambigu et incertain.
1- Sa reconnaissance, constitutionnelle
Dans notre système juridique :
Ce que prévoit la Constitution de la cinquième République :
Article 3 :
La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice.
Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret.
Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques.
Article 4 :
Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie.
Ils contribuent à la mise en œuvre du principe énoncé au second alinéa de l’article 1er dans les conditions déterminées par la loi.
La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique. »
La nature du suffrage, son expression au travers des partis ou groupements politiques, la garantie d’une pluralité d’opinions n’excluent pas ce vote.
L’introduire au niveau de la Loi Fondamentale :
Il est alors l’expression
– de la volonté générale
– de la loi : lors de certaines élections, lesquelles ?
Lui donner une existence matérielle définie et formalisée par un bulletin de vote. Il ne doit pas se confondre avec le vote nul qui résulterait du constat d’anomalie à l’ouverture de l’enveloppe ou à la lecture du bulletin au regard d’une liste préétablie.
En Europe, seule la Suède, dit-on, reconnaît le vote blanc. Mais en Suisse romande, dans la modification de la constitution votée en 2003, les Suisses ont introduit le vote blanc s’ingérant dans le calcul de la majorité absolue.
Ailleurs, on peut citer l’Islande, le Pérou, le Costa Rica, la Colombie mais pas le Brésil.
2- Sa signification, ambigüe
Un vote blanc :
– Se veut un acte civique,
– Participe de la vie démocratique de la Nation
– Dit sa désapprobation des choix proposés.
Mais il est silencieux sur la désapprobation portée par ce vote : le mode électoral, les candidats présentés par les partis ou groupements politiques, les programmes, une contestation politique globale, une question mal posée, un temps inopportun…
Dans un sondage réalisé par le Centre d’études et de connaissances sur l’opinion publique (CECOP), les motivations du vote blanc apparaissent comme étant les suivantes :
– refus des candidats en présence (36%)
– hostilité à l’égard de la politique (35%)
– difficulté à choisir entre les candidats (20%)
– désintérêt (13%)
– manque d’information (11%).
Mais un vote qui peut tout dire ne dit-il pas rien ?
3- Sa pertinence, contextuelle
Celle-ci s’évalue dans notre contexte politique actuel : un fort absentéisme électoral, faiblesse de la représentativité des majorités et fragilisation de la démocratie.
La réponse étant double, l’une étant le contraire de l’autre, le doute est plus que permis.
Oui, le vote blanc serait comme un levier démocratique :
– Il peut être un élément déterminant pour lutter contre l’absentéisme électoral : les électeurs en désaccord avec les représentants présenté par les partis(ou groupements politiques) ou avec la question référendaire ont désormais un bulletin pour faire entendre leur voix ;
– Il peut être un agent facilitateur pour redynamiser notre régime des partis : les partis courent les risques de voir les représentants qu’ils ont investis désavoués, de fragiliser leurs résultats électoraux, de mettre à jour un écart si ce n’est une rupture entre leur « base » et leurs dirigeants et d’être discrédités.
Aussi les élections primaires peuvent constituer une parade efficace à des investitures déconnectées des militants des partis.
Non, le vote blanc est la négation de la volonté générale :
– Comme on l’a dit plus haut, le vote blanc dit qu’il ne veut pas, voir qu’il ne peut pas vouloir mais il est dans l’incapacité de dire ce qu’il veut.
– On est également en droit de se demander en quoi ce vote relève au fond de la volonté : celle-ci ne se manifeste-t-elle pas par une décision, ne génère-t-elle pas une action, n’est-elle pas concrète, et lisible pour s’imposer voire s’opposer ?
4- Sa portée, la dissuasion
Le vote blanc comme l’abstention n’a de sens que pour celui qui le ou la pratique ; il est en quelque sorte individualiste.
Par contre, en devenant un nombre, il pèse sur le décompte des votes
L’abstention est quantifiée : certes elle vient réduire le nombre de suffrages exprimés mais des majorités, même faibles s’en dégagent.
Le vote blanc fait partie des suffrages exprimés et à ce titre il est comptabilisé. Il peut être majoritaire.
C’est de là qu’il puise sa force : il est en position de mettre en échec des élections.
A quel seuil, peut-il invalider une élection ? Que se passerait-il s’il l’était : les élections sont invalidées, de nouvelles sont organisées ou un second ou énième tour avec quels participants ?...
Alors d’un côté, la crainte d’une telle impasse pour les partis et les gouvernants et de l’autre, la conscience pour les électeurs d’un certain pouvoir peuvent faire des élections un enjeu et donner envie d’y prendre part.
D’autres pistes s’ouvriraient comme le vote obligatoire qui serait le corollaire de ce vote blanc, accroissant ainsi son poids dans le jeu démocratique.
Avant de répondre à cette question, voyons ce qu’est le vote obligatoire et quelle en est la pratique.
5- Des perspectives, nouvelles
En Europe, l’obligation de voter ne subsiste plus qu’en Belgique, en Grèce, au Liechtenstein, au Luxembourg, dans le canton suisse de Schaffhouse et dans le Land autrichien du Vorarlberg. Les Pays-Bas ont supprimé le vote obligatoire en 1970.
Hors de l’Europe, le Brésil, le Costa Rica et l’Australie ont institué le vote obligatoire.
Cette obligation est encadrée : des limites sont définies et son non respect sanctionné :
– La reconnaissance de plusieurs motifs d’abstention et la possibilité de voter par correspondance ou par procuration semblent constituer la contrepartie de l’obligation de voter
Toutes les législations étudiées reconnaissent des motifs d’abstention. Dans certains cas (Land du Vorarlberg, Liechtenstein, Luxembourg, canton de Schaffhouse), ces motifs sont énumérés limitativement. Dans les autres, la loi prévoit la possibilité de présenter une excuse dont la recevabilité est appréciée par le juge (Belgique) ou par l’administration (Australie).
Par ailleurs, en contrepartie de l’obligation de voter, la plupart des lois ouvrent largement la possibilité de voter par procuration, par correspondance, voire par anticipation ou à domicile. Sauf dans le canton de Schaffhouse, où la loi électorale ne pose aucune condition au recours au vote par correspondance.
– Une amende de montant variable sanctionne l’abstention
Toutes les lois électorales étudiées prévoient que le non-respect de l’obligation de voter est sanctionné d’une amende.
Cette amende n’est pas partout symbolique : si elle s’élève à 3 francs suisses (soit environ deux euros) dans le canton de Schaffhouse et à 20 francs suisses (soit environ treize euros) au Liechtenstein, elle est comprise entre 100 et 250 € pour une première abstention au Luxembourg et se monte à 400 ou 700 € selon la nature de l’élection dans le Land du Vorarlberg.
Dans plusieurs pays, le montant de l’amende est gradué selon qu’il s’agit ou non d’une première abstention. Il en va ainsi en Belgique, où l’amende, comprise entre 25 et 50 € pour une première abstention, est portée de 50 à 125 € en cas de récidive. De même, au Luxembourg, une première abstention est sanctionnée d’une amende de 100 à 250 € et, en cas de récidive dans les cinq ans, l’amende est comprise entre 500 et 1 000 €.
Ces législations et ces pratiques sont le fruit de l’histoire de ces pays. Peuvent-elles trouver sens et place dans notre constitution et notre histoire ?
Ainsi, au Brésil, la loi a établi une différence entre le droit de vote et le devoir de voter et a choisi le vote obligatoire. Certains pourraient penser que ce sont les partis populaires qui l’ont imposé. Eh bien, non ! En effet, lorsque le suffrage, autrefois censitaire, est devenu universel, les couches élevées de la population ont eu peur que les partis ouvriers poussés par les syndicats aillent voter en masse tandis qu’il y aurait, peut-être, un nombre important d’abstentions dans les partis de « droite » et qu’ainsi la « gauche » prendrait plus facilement le pouvoir. La notion de droit ou devoir s’efface ici devant la notion de pouvoir…Du moins devant des calculs partisans en vue de conquérir le pouvoir.
Alors, le vote obligatoire ne changerait-il pas la nature du vote, expression d’une volonté et d’une liberté, en l’instrumentalisant tant du fait de la technicité et la mécanique des modalités de mise en œuvre que du fait des jeux politiques ?
Obligés, les votants seraient-ils plus nombreux ?
Faisons l’hypothèse que, malgré cette obligation et la sanction encourue, le nombre d’abstentionnistes soient aussi importants que lors de nos élections qui se sont récemment passées, le vote blanc qui lui aurait été associé ne perdrait-il pas de sa force dissuasive ? L’acte qui se voulait à la fois rebelle et démocratique se déplace vers le vote obligatoire qui n’a pas la même vertu démocratique.
Ce vote-là comme le vote blanc peut-il être un remède à notre crise de la démocratie ?
En réalité, l’intérêt de ces propositions ne résident pas tant dans leur pertinence et leur efficacité que dans les interrogations qu’elles soulèvent et le débat qui en naît.
C’est un élément fondateur de notre démocratie que ces idées et leur confrontation éveillent.
Ne serions-nous pas nous-mêmes les fossoyeurs de la démocratie par défaut de transmission de ce qui l’a fondée et de comment elle s’est construite pour que chacun de nous soit en ré-habité, même s’il faut la réinventer ?