Quand la justice interroge et s’interroge
Vendredi 24 février 2012, par
Beaucoup a été dit et écrit sur l’état et le fonctionnement de la justice. Il n’en est que plus intéressant de savoir comment elle-même peut s’interroger. Nous publions ci-dessous, dans cet esprit, le discours qui a été prononcé par M. Jean-Louis NADAL, Procureur général près la Cour de cassation lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, à Paris le 7 janvier 2011.
Monsieur le garde des Sceaux, vous avez bien voulu honorer cette cérémonie de votre présence, nous sommes très sensibles à cette marque d’attention et vous souhaitons la bienvenue dans cette maison qui est aussi la vôtre.
Mesdames et Messieurs les Hautes personnalités, je m’associe aux propos de monsieur le Premier président, et, comme lui, vous remercie très chaleureusement pour cette fidélité par laquelle vous avez bien voulu cette année encore, répondre à notre invitation.
Mesdames, Messieurs, au cérémonial de notre rentrée solennelle, vient parfois s’ajouter une circonstance qui, sans changer la nature de ce rite par lequel se singularise l’institution judiciaire, en détourne peu ou prou le cours. C’est le cas lorsque cette cérémonie se conjugue avec l’installation du Premier président ou du procureur général. Il est alors question de programme plus que de bilan. Mais c’est aussi le cas lorsqu’un chef de cour prend la parole pour la dernière fois à l’occasion de ce rendez-vous annuel, ainsi que je vais le faire. Ici, la fin n’est pas seulement celle des exigeantes fonctions exercées à la tête de ce parquet général depuis maintenant plus de six années. Elle met aussi un terme à une carrière commencée voici quarante quatre ans, au service d’un seul engagement, la justice. Pour autant, je me garderai bien de vous imposer l’exhibition impudique de mes sentiments.
Je crois plus important d’exposer ce que m’inspire aujourd’hui l’évolution de notre justice. Mais avant de vous livrer sur ce point le fond de ma pensée, je me dois de proclamer ma fierté d’avoir œuvré en cette Cour à vos côtés, Monsieur le Premier président, et c’est avec émotion que je vous exprime toute ma reconnaissance pour tout ce que nous avons bâti ensemble, grâce à votre engagement sans faille au service de la Justice, reconnaissance aussi pour le regard toujours amical que vous portez sur le parquet général de cette Cour, et pour la magnifique et parfaite entente que nous avons, ensemble, cultivée, tel un bien précieux.
Je ne saurais enfin quitter ces fonctions sans vanter l’exceptionnelle qualité des magistrats et fonctionnaires qui composent cette cour. Je leur conserve ma profonde gratitude et leur souhaite la pleine réussite que justifient leurs mérites. Je remercie aussi les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation pour la qualité des relations qu’ils savent entretenir avec cette Cour. Qu’ils sachent bien ma conviction du caractère indispensable de leur office.
Mon propos, je l’ai dit, ne sera pas introspectif. C’est d’un sujet autrement plus important que je tiens à vous entretenir. Quand je vois les évolutions que la justice a connues en quatre décennies, je suis frappé de la coexistence de deux constantes. Elles sont loin d’être récentes, mais ce que recouvre l’une d’entre elles me paraît de plus en plus préoccupant. La première est que le recours de nos concitoyens à la justice ne faiblit pas : la judiciarisation par laquelle le juge devient un régulateur majeur de notre société va toujours croissante. Nous savons qu’il en est de même dans bien des pays et c’est sans doute un fait dont toute société avancée doit s’accommoder. Le second de ces éléments constitue, quant à lui, un véritable sujet d’alarme.
De tous temps la justice a été brocardée. Et aujourd’hui, à un magistrat qui ne supporterait pas la critique, je serais plutôt tenté de conseiller de changer de métier. Et s’il fallait encore se convaincre que le fait n’est pas nouveau, il conviendrait de se reporter au discours prononcé ici même en janvier 1979 par le regretté Premier président Pierre Bellet qui s’exprimait en des termes encore aujourd’hui d’une cruelle actualité : « la justice est de plus en plus contestée, alors qu’on lui demande de plus en plus. Elle est discutée sur tous les points. Les récriminations portent essentiellement sur le coût de la justice et sa lenteur mais aussi sur sa raideur, son inefficacité, son manque de clarté, que sais-je encore ? Elle serait trop sévère et trop laxiste à la fois ».
Mais s’il n’est pas récent, le phénomène ne laisse pas d’inquiéter quand, à cette institution fondamentale de la République et de la démocratie, les coups sont portés par ceux qui sont précisément en charge de la faire respecter. A cela, je dis qu’il faut très sérieusement prendre garde.
Afficher pour la justice une forme de mépris, inspirer à l’opinion des sentiments bas en instillant, de manière en réalité extravagante, la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision, inscrire au débit des cours et tribunaux l’altération du lien social compromis pour une multitude de raisons qui leur sont étrangères, tout cela avilit l’institution et, en définitive, blesse la République.
Le propre de la justice est de fixer les repères qui nous viennent de la loi, pour donner force et contenu au pacte social d’une société moderne et démocratique, c’est-à-dire d’un Etat de droit. La délinquance appelle la répression, c’est entendu et le mot ne doit pas faire peur, mais où sont les repères quand celui qui rappelle que l’accusé a des droits encourt le reproche d’avoir choisi le camp des assassins contre les victimes ? Où sont-ils ces repères quand est niée la présomption d’innocence, principe pourtant fondateur de tout dispositif pénal, au même titre que la légalité des délits et des peines ou la non rétroactivité de la loi pénale ?
La police judiciaire est un élément majeur du dispositif assurant paix et sécurité à nos concitoyens.
Ses membres, policiers et gendarmes, méritent respect et encouragements pour le travail qu’ils accomplissent dans des conditions très difficiles, trop souvent au risque de leur vie. Cette police, nous dit la loi républicaine, est dirigée par les magistrats. Mais au nom de quoi, par quelles dérives, certains de ses représentants se permettent-ils alors d’en appeler à l’opinion contre ces mêmes magistrats quand ils prennent une décision qui leur déplaît ? Et le scandale n’est-il pas encore plus grand quand ces protestations politico-corporatistes sont relayées au plus haut niveau, au mépris du fondamental principe de séparation des pouvoirs. Prenons garde, prenons garde à l’instrumentalisation de la justice !
Le respect, enfin, il faut bien le regretter encore une fois, n’était pas à l’ordre du jour lorsque, par un acte d’une grande violence, le Parlement a pris la grave décision d’intervenir directement et sans concertation dans le fonctionnement de la Cour de cassation pour, cinq mois après sa création, supprimer la formation chargée d’examiner les questions prioritaires de constitutionnalité, suppression qui s’analyse en un dessaisissement d’une formation de jugement alors que des affaires étaient en cours, au motif à peine dissimulé du désaveu d’une décision rendue par cette formation. Toutes les lois de dessaisissement intervenues au cours de notre histoire renvoient à des heures sombres. Sur le fond, celle-ci porte la marque de l’incompréhension mais aussi sur la forme, d’un singulier mépris.
Je veux, dans ce contexte très particulier, m’adresser à mes collègues, juges et procureurs, mais aussi aux fonctionnaires qui œuvrent à l’action de la justice. Ils méritent les plus vifs encouragements. On ne dira jamais assez le dévouement des membres du corps judiciaire confrontés à d’innombrables difficultés, certaines matérielles, d’autres liées à la nature même de leurs fonctions. Pour quelques affaires qui donnent matière à un retentissant et injuste dénigrement aux motivations troubles, pour d’autres, car il en existe aussi, qui laissent prise à des critiques justifiées, combien de dossiers sont menés à bien au terme d’un lourd labeur, économe de publicité mais non de qualité, accompli par cette immense et discrète majorité qui est l’honneur de notre corps alors même que ne lui sont pas réservés les devants de la scène ?
C’est pourquoi tout ce qui passe pour un manque de professionnalisme nous cause un préjudice considérable. Quand l’un d’entre nous ne voit pas ce qui dans ses actes fait naître, même à tort, le terrible soupçon d’atteinte à l’impartialité, quand il oppose en guise de pauvre réponse qu’il est le seul juge de sa conscience, quand un autre s’estime en droit de se départir à l’audience de la dignité propre à sa fonction pour s’exprimer en des termes qu’il croit au diapason des faits examinés, quand il confond dans la rigueur de ses réquisitions le criminel et celui qui le défend, quand il use de termes qui témoignent surtout de son emportement, quand la recherche d’un résultat devient motif de s’affranchir de la stricte procédure, de l’éthique, de la déontologie, c’est tout le respect dû à la justice qui est compromis. C’est alors une bien lourde responsabilité qui pèse sur les auteurs de quelques errements.
Je regrette d’avoir à m’en féliciter mais il me semble que pour contenir ces dérives, rares mais aux effets dévastateurs, il ne pouvait y avoir de meilleure réponse que la possibilité maintenant offerte aux parties de saisir directement le Conseil supérieur de la magistrature et je salue la réforme accomplie en 2008, qui entrera en application dans les premiers jours de cette nouvelle année.
C’est le moment de proclamer, une dernière fois du haut de ce siège, ce que je crois, selon la formule consacrée, convenable au bien de la justice, à la fois vertu et institution fondamentale de notre société. Je crois d’abord aux mérites du professionnalisme. Combien de fois ai-je dit à mes collègues et tout spécialement aux jeunes magistrats issus de l’École nationale de la magistrature, que « juger c’est un métier », métier auquel, comme toute autre activité professionnelle, il est indispensable de se former. C’est pourquoi j’ai la conviction qu’à la base de toute activité juridictionnelle, doit impérativement se trouver une solide formation juridique et judiciaire, dispensée par l’Université et l’ École nationale de la magistrature.
J’ai ensuite, et ce sera l’essentiel de mon propos, une très vive inquiétude pour le ministère public. Fidèle à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, la chambre criminelle, a, le 15 décembre dernier, dénié au ministère public la qualité d’autorité judiciaire. Si cette décision devait trouver sa traduction en langage médical, il faudrait dire que le parquet est maintenant proche d’un état de coma dépassé.
Maintes fois, en ce lieu notamment, j’ai tenté d’expliquer que la survie du ministère public à la française, garant des libertés fondamentales, imposait une réforme profonde de son statut.
Cette question a fait l’objet d’une conférence au Sénat en 2007. Elle a été portée au niveau européen, avec la création du réseau des procureurs généraux près les Cours suprêmes des États membres de l’Union européenne. Mes propos et mes initiatives ont sans doute été considérés comme une forme d’agitation de circonstance par des observateurs incrédules que la jurisprudence de Strasbourg est pourtant venue détromper, avant celle de la chambre criminelle de cette Cour.
Je le redis avec force, à titre en quelque sorte testamentaire : le statut du ministère public français doit être profondément revisité. Il ne s’agit pas d’encourager à la sécession en proclamant sa totale indépendance. Le parquet est une composante de l’État, c’est entendu, et je ne crois pas souhaitable qu’il se divise en autant de féodalités qu’il existe de ressorts, tandis que nul ne peut contester que la définition des politiques publiques, y compris en matière
judiciaire, revient au gouvernement.
Mais le respect de ces principes fondamentaux ne doit pas empêcher d’extraire le venin de la suspicion. C’est pourquoi je préfère parler de plus grandes garanties de neutralité et d’un surcroît d’indépendance.
En faveur d’un statut apportant ces garanties, les tenants de la réforme observent qu’un procureur qui aurait, dans une affaire particulière, à prendre des décisions gênantes pour le pouvoir en place serait bien avisé de craindre, de la part de ce même pouvoir, une certaine réticence à lui offrir un espoir de progression professionnelle. Considéré objectivement, l’argument ne manque pas de poids. Mais les tenants du statu quo objectent qu’il est bien médiocre de réduire la conduite d’un procureur à quelque mesquine préoccupation de carrière, et je crois qu’ils ont également raison : pourquoi faire un procès d’intention à ces magistrats dévoués et courageux qui ont choisi d’exercer les difficiles fonctions du parquet ?
Alors, comment concilier ces analyses radicalement contradictoires et pourtant également pertinentes et justifiées ?
C’est qu’en réalité, et avec toute la considération due aux éminentes personnalités qui ont soutenu l’un ou l’autre de ces points de vue, le problème est mal posé quand il est réduit à ces deux observations. En effet, il ne s’agit pas de savoir s’il existe des motifs de soupçonner un défaut d’impartialité à l’égard de tel ou tel procureur quand il décide par exemple de frapper d’appel une décision, ou de ne pas le faire, de saisir un juge d’instruction ou de ne pas le faire.
Il s’agit plus simplement, et plus radicalement, de parvenir à un dispositif tel que la question, quelle que soit la réponse, ne se pose pas. C’est l’interrogation, je devrais dire l’inquiétude, qui est ici pernicieuse, alors même que la réponse serait irréprochable, mais qui peut garantir qu’elle le sera toujours ?
Les exigences de l’apparence, que la Cour de Strasbourg nous interdit d’ignorer ainsi qu’elle le rappelle très régulièrement, sont impossibles à contourner et je ne doute pas que tôt ou tard ce qui paraît audacieux aujourd’hui sera regardé comme normal. Et pour qu’il en soit ainsi, la seule solution est de couper tout lien entre l’échelon politique et le parquet pour ce qui concerne les nominations.
Lors de mon audition par la commission présidée par l’ancien Premier ministre, M. Édouard Balladur, en septembre 2007, j’ai affirmé la nécessité de confier le pouvoir de nomination des magistrats du parquet au Conseil supérieur de la Magistrature, comme c’est le cas aujourd’hui pour les magistrats du siège, Chefs de Cours et de juridictions et magistrats de la Cour de cassation.
La première des garanties passe en effet par un processus de nomination des magistrats prenant en compte la seule aptitude, les seules qualités professionnelles, indépendamment de toute appartenance réelle ou supposée à telle ou telle organisation professionnelle, à telle ou telle école de pensée. En confiant aux chefs de la Cour de cassation, la présidence des formations du siège et du parquet du Conseil supérieur de la magistrature, la réforme constitutionnelle est un premier pas dans cette direction. Il faut la saluer comme une avancée décisive qui marquera l’histoire juridictionnelle de notre pays. Mais, ma conviction reste qu’il faudra aller plus loin : le dispositif aura, à mes yeux, trouvé son plein aboutissement lorsque les nominations des juges et procureurs reviendront en totalité au Conseil supérieur.
J’ai, dans cette attente, le ferme espoir que le nouveau format issu de la réforme constitutionnelle de 2008, même s’il ne marque qu’une étape, mettra un terme au soupçon de corporatisme, voire de politisation, et j’aurais été heureux de pouvoir affirmer qu’il s’agissait là d’une précaution inutile. J’aurai en tout cas à cœur de motiver les décisions, que j’espère rares, par lesquelles le Conseil sera conduit à ne pas approuver les candidatures soumises à son examen. Et s’il ne s’agit que de simples avis pour les magistrats du parquet, du moins nous reviendra-t-il d’émettre des avis véritables, au sens constitutionnel du terme, sous peine de recevoir de la part du Conseil d’État, comme ce fut le cas le 30 décembre dernier, un salutaire et cinglant rappel à l’ordre déontologique autant que juridique.
Je ne peux en outre m’empêcher de regretter que le Conseil n’ait pas su trouver les ressources qui lui auraient permis de remettre en cause certaines nominations que j’ai déjà qualifiées, ici même de variables d’ajustement de la haute magistrature et qu’il ait ainsi manqué l’occasion de faire évoluer la nature de son contrôle, tenant non seulement à la qualité des personnes, mais aussi aux besoins des juridictions. Je ne peux à cet égard que dire mon incompréhension quand j’ai vu surgir, sur des critères dont j’ignore la nature, des nominations qui posent question quant à l’adéquation du profil et de la fonction.
Et, si je m’arrête, vous le comprenez, au dossier de mon parquet général, je devrais me réjouir d’avoir vu mes effectifs doubler en six ans. Mais j’ai surtout à m’étonner de n’avoir pas été plus consulté sur ces renforts que je n’avais pas demandés et qui sont loin d’être intervenus en fonction des besoins des chambres de cette cour, au prix d’une véritable dénaturation de la réforme que j’ai initiée de ce parquet général, bien mal en point le jour de mon arrivée, c’est le moins que je puisse dire. J’évoquais le mépris au début de mes propos.
Je crois donc venu le temps, je le répète, d’un pouvoir exécutif se maintenant en dehors des nominations des magistrats du parquet, s’effaçant comme il a sagement commencé à le faire devant le Conseil supérieur de la magistrature, dont la réforme constitue un premier pas dans la bonne direction.
En terminant sur ce sujet, j’oserai transmettre à mon successeur, — qui peut-être est assis dans cette salle — une importante recommandation. Je veux lui dire qu’il aura la lourde charge de prolonger le combat pour le ministère public. L’enjeu n’est rien de moins que le maintien de l’unité du corps judiciaire. Lorsque j’ai embrassé la carrière du parquet, cette unité ne se discutait pas. Or, sur ce point, le ministère public se trouve véritablement à la croisée des chemins. Soit, autant par la conception que ses membres ont de leur mission que par les moyens juridiques et matériels qui leurs sont donnés, il reste le gardien de la liberté individuelle tel que le conçoit l’article 66 de la Constitution, soit il ne parvient pas à s’imposer dans ce rôle pour devenir, selon la formule anglo-saxonne, une sorte d’avocat, non plus de l’ordre public mais des pouvoirs publics.
Je serai sinon le premier à dire, sans états d’âme, qu’il se justifierait alors que vole en éclat cette unité. C’est pourquoi la réforme de la procédure pénale devra, à mon sens, prendre en compte non seulement la question statutaire sur laquelle je ne reviens pas, mais aussi la nécessité de faire du parquet non pas une sorte d’enquêteur supérieur — ce serait un dévoiement —, mais un véritable garant de premier niveau de la régularité des enquêtes, sous le contrôle naturellement des magistrats du siège consacrés à cette mission. Prendre une autre direction, ne serait-ce pas, en définitive, rendre vie à l’ancien lieutenant de police qui siégeait non loin d’ici en son palais du châtelet ? Ce serait une évolution, mais serait-ce un progrès ?
Nul doute, enfin, que les évolutions institutionnelles relatives à un ministère public européen, que le traité de Lisbonne a maintenant rendu possibles même si elles sont encore lointaines, imposeront aussi une réflexion sur le Ministère public français. Tous les participants à l’importante conférence organisée sur ce thème en février 2010 par la Cour de cassation, la Commission européenne et l’École nationale de la magistrature ont souligné que le futur parquet européen ne saurait se concevoir sans un nécessaire statut d’indépendance.
Cette question n’est certainement pas indifférente en ce qui concerne le ministère public français. Peut-être cette évolution imposera-t-elle aussi de reconsidérer la question du procureur général de la nation. Si, longtemps, j’ai été hésitant sur l’instauration d’une telle institution, l’impact des évolutions européennes m’amène à reconsidérer le problème.
Le procureur européen, s’il devait voir le jour, à l’évidence revêtu d’un statut d’indépendance, entraînerait nécessairement la création d’un organe équivalent au niveau national.
Au final, n’est-ce pas en réalité le moyen d’instaurer un véritable pouvoir judiciaire, avec ses deux composantes du siège et du parquet, reposant sur une organisation cohérente, du sommet à la base et déconnectée du pouvoir exécutif ? Cette évolution, vous le devinez, est celle qui a ma préférence.
Formation, statut, neutralité du ministère public, voici les principales composantes d’une seule et unique exigence : l’impartialité sans laquelle la justice ne serait pas la justice. Et comment y accéder sans garantir l’indépendance de cette justice, une indépendance consubstantielle à l’état de magistrat ?
Mesdames et Messieurs,
Il est aussi d’autres formes moins visibles, mais sans doute plus pernicieuses, d’atteintes à l’indépendance de la justice sur lesquelles je ne vais pas aujourd’hui, longuement disserter : c’est ici que le problème des moyens fait intrusion. En effet, je crois que se justifie, pour la garantie de cette indépendance, que la gestion budgétaire des juridictions et des ministères publics qui les composent soit autonome et distinct du budget du ministère de la Justice.
Mesdames, Messieurs, il est temps de conclure.
Alors, soyons clairs : le seul regard sur l’avenir de notre justice qui forcerait respect dans notre démocratie, c’est de préparer l’avènement de ce fameux pouvoir judiciaire dont je viens de tracer, en réalité, les traits. C’est à ce prix que les mots mêmes des pères fondateurs de notre République retrouveraient sens. Michel Debré n’a-t-il pas écrit que : “la valeur de la justice et le respect dont ses décisions sont entourées attestent du degré de civilisation qu’un peuple a atteint » ?
Oui à une réelle séparation des pouvoirs, oui à l’avènement d’un pouvoir judiciaire dont la contrepartie sera naturellement une responsabilité accrue des acteurs directement en charge de l’œuvre de justice dans tous ses aspects ainsi que le permet déjà la réforme constitutionnelle.
Car c’est bien sur ce socle d’un authentique pouvoir judiciaire que le bien le plus précieux de la justice dans la République, je veux dire l’indépendance, sera, selon l’expression de l’un de mes plus illustres prédécesseurs, André Dupin, “quelque chose de plus que la liberté” la “liberté perfectionnée”.
Car “Être indépendant, c’est savoir défendre son opinion, sa croyance et ses actes contre les attaques du dehors, contre tous ceux qui, sans en avoir le droit, font effort sur notre volonté pour nous imposer la leur ; en un mot, c’est savoir être soi, dans la pureté de sa conscience et de sa conviction (...)”.