Réfléchir sur la Constitution

Réfléchir sur la Constitution

Dimanche 10 mars 2013, par Jacques Lafouge

Dans le cadre des débats autour de ce que doit être ou pourrait être une Constitution, notre ami Jacques Lafouge nous propose ci-dessous quelques réflexions dont beaucoup reprennent une partie du discours de simples citoyens.

Nul doute que ce texte alimentera bien des débats car il pose les questions de fonctionnement interne de L’État et de la démocratie que les questions des relations internationales qui ne peuvent être décidées que par le peuple souverain. .

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La France ne s’est jamais séparée de la royauté. Si, en Septembre 1792, elle l’a abolie et a proclamé la République, elle a immédiatement donné un successeur au roi dans la personne d’un président de la République ou d’un empereur. Seule la Constitution de 1793 ne prévoyait pas une quelconque présidence.

Nous avons donc vu se succéder des présidences, royales, impériales ou non, plus ou moins légitimes mais qui toutes avaient en commun une poigne forte. Ce n’est que de 1975 à 1940 puis de 1946 à 1958, soit 77 ans sur un peu plus de deux siècles que le président de la République détenait des pouvoirs restreints.

Depuis la Constitution de 1958 la marche au césarisme s’est accélérée de telle manière que la voix du peuple est tenue pour négligeable ou nulle. On ne citera que pour mémoire, tant la chose est toujours présente dans les esprits, l’affaire du traité de Lisbonne, refusé par le peuple par voie de référendum, imposée ensuite par le Congrès réuni à Versailles. S’il ne fallait qu’un exemple pour justifier la nécessité d’un changement radical de régime, c’est celui- là.

Notre démocratie, sous des apparences bonhommes actuellement, glisse de plus en plus vers une dictature soft. A ce titre 1984 et Fahrenheit, utopies noires sont-ils aussi utopiques que cela ?

Cette nécessité de rendre le pouvoir politique à son légitime détenteur, le peuple, devrait s’appuyer sur trois principes :

. Supprimer ce qui est néfaste
. Éliminer ce qui est inutile
. Donner corps à ce qui est utile


Supprimer ce qui est néfaste.

C’est la présidence de la république.

La Constitution de 1958 a été faite, on le sait, par et pour le général de Gaulle et on y a vu à l’époque un moyen de mettre fin aussi bien à l’instabilité ministérielle qu’à la guerre d’Algérie. Buts qui d’une manière ou d’une autre ont été atteints. Ce qui n’a pas été vu c’est que cette constitution permettait d’aller vers un césarisme éliminant l’avis du peuple sur les problèmes qui le concernent directement.

Si la Constitution de 1958 donne au Président de la République l’obligation de veiller au respect de la Constitution, elle lui donne également tous les moyens d’agir à sa guise sans appel au peuple qui dans le meilleur des cas sera informé.

Sans reprendre le détail des dispositions prévues par la Constitution notons cependant qu’il :

. est l’arbitre du fonctionnement régulier des pouvoirs publics
. nomme le Premier ministre et met fin à ses fonctions
. promulgue les lois et peut demander une nouvelle délibération à leur sujet
. peut soumettre la loi à référendum
. peut dissoudre l’Assemblée
. signe les ordonnances et décrets
. nomme aux emplois civils et militaires de l’État
. est chef des armées et préside le conseil de défense nationale
. prend les mesures exigées en cas de menace grave et informe la nation par un message
. a le droit de grâce
. peut intervenir devant les Assemblées
. nomme trois membres du Conseil Constitutionnel
. a l’initiative d’une révision de la Constitution par la voie du référendum ou du Congrès
. est, par tradition, chanoine du Latran et co-prince d’Andorre

Confiées à des mains vertueuses ces attributions pourraient à la rigueur permettre un fonctionnement normal des institutions, mais la pratique montre que ce pouvoir s’exerce au profit de sa majorité et de ses protégés.

Dans la mesure où il faut rendre au Peuple un pouvoir dont il est le seul légitime détenteur la Présidence de la République doit être supprimée.

Éliminer ce qui est inutile.

Le Sénat

Malgré tout ce qui peut être affirmé sur la sagesse de ses membres on peut légitimement s’interroger sur l’utilité réelle de cette institution.

En effet si l’Assemblée vote une loi le Sénat peut la repousser. Par un second vote l’Assemblée l’adopte. Si le Sénat propose une loi et que l’Assemblée ne la mette pas à son ordre du jour, ou la repousse, l’initiative du Sénat n’a servi à rien.

De plus :
. Le Sénat élu au suffrage indirect n’est pas démocratique et représente bien plus une prébende soumise au lobbying.
. Par ailleurs, comme pour l’Assemblée nationale, la Constitution a prévu de laisser à une loi organique, l’organisation et l’indemnisation de ses membres. Il en résulte que ces assemblées votent elles-mêmes les lois les concernant sans aucun contrôle des citoyens.

Pour ces motifs le Sénat doit être éliminé.

Donner corps à ce qui est utile.

La représentation directe du peuple

La pratique actuelle montre que le député se considère comme au dessus des citoyens qui l’ont élu parce que lesdits citoyens ne disposent d’aucun moyen de contrôle et de sanction sur leur député, de telle manière que celui-ci peut quasi impunément agir à sa guise.

La Constitution de 1958 favorise d’ailleurs cet état de fait par son article 27 : « Tout mandat impératif est nul ».

Mais dans le Contrat social Rousseau résumait assez bien cette situation : « Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi. Le peuple anglais pense être libre ; il se trompe fort, il ne l’est que durant l’élection des membres du Parlement ; sitôt qu’ils sont élus, il est esclave, il n’est rien. Dans les courts moments de sa liberté, l’usage qu’il en fait mérite bien qu’il la perde. »

Cette situation est très exactement la nôtre. Il faut alors se souvenir de ce que Mirabeau écrivait au sujet du roi Louis XVI : « Il (le peuple) vous paie et vous paie très cher, parce qu’il espère que vous lui rapporterez plus que vous ne lui coutez. Vous êtes en un mot son premier salarié, et vous n’êtes que cela ; or, il est de droit naturel de pouvoir renvoyer celui que nous payons, et qui nous sert mal… »

La problématique de la future Constitution est donc de faire en sorte que la volonté du peuple soit exécutée constamment comme il le veut et que sa représentation soit assurée selon ce qu’il a déterminé.

Ceci passe par un nombre restreint d’étapes.

D’abord l’élection.

Actuellement elle se fait classiquement sur la base d’un programme électoral et de promesses qui selon le mot fameux n’engage que ceux qui les écoutent. L’actuel président de la République et les députés ont été élus sur des propositions qui n’aboutiront pas ; par contre ils prennent des dispositions dont ils n’avaient jamais fait état pendant la campagne électorale. La conséquence en est plus de 40% d’abstention et 33% des français se reconnaissants dans les thèses du Front National ! Un désintérêt marqué pour une vie politique dont le citoyen se sent exclu.

Le candidat doit proposer dans l’ordre aux électeurs :
. un projet indiquant le sens de son action pendant la durée de son mandat
. un programme de réalisation des éléments du projet
. les mesures pratiques
Ceci s’accompagnant d’un chiffrage afin que le poids en matière d’impôts des mesures soit connu à l’avance et ne pourra être dépassé sauf retour devant l’électeur pour obtenir son accord.
Le candidat ajoutera le montant de l’indemnité qu’il demande pour son action afin qu’elle soit approuvée par les électeurs, car en aucun cas il ne peut fixer lui-même le montant de son indemnité ni l’augmenter en cours de mandat. Il conservera par ailleurs l’inscription à ses régimes de retraite ce qui entrainera la disparition des régimes particuliers aux parlementaires.

Dans ces conditions le citoyen tient ce langage : « Tu m’as fait des propositions. Elles me conviennent. Je te donne mandat pour les réaliser complètement et pas d’autres dont tu ne m’as pas parlé. » C’est un contrat.

Afin de marquer ce changement radical il y aura lieu d’abandonner le terme de Député pour lui substituer celui de Mandataire du Peuple.

Le mandat

Par ailleurs une fois élu le Mandataire ne peut plus être celui d’un parti mais celui de tous. Ceci sera marqué dans l’Assemblée par un placement par ordre alphabétique.

Le mandat est de 5 ans il ne peur être renouvelé qu’une fois après une rémission de 5 ans au moins, de façon à éviter le professionnalisme. De plus ne pas postuler à une réélection éventuelle doit permettre de prendre des décisions courageuses lorsque cela est nécessaire.

Durant ce mandat l’élu est tenu d’assister à toutes les séances de la Chambre. De même il ne peut demander ni recevoir aucun avantage personnel d’aucune sorte, ni jouir du moindre privilège. Il ne peut pas davantage procurer aucune faveur ou passe-droit à quiconque. Dans tous les cas l’infraction est sanctionnée par la peine d’indignité nationale.

L’action des Mandataires doit être constamment surveillée. Pour cela on peut reprendre utilement les dispositions de la Constitution de 1793 qui prévoyait une assemblée primaire de citoyens à raison de 200 par canton, le terme canton devant actuellement remplacé par département ou région. Cette Assemblée se fait rendre compte de l’action du mandataire pendant et à la fin de son mandat, l’approuve ou la désapprouve et dans ce cas la mandataire est déclaré inéligible à vie.

L’Assemblée des mandataires désigne les ministres et un Président du Conseil. Ils ont la charge de conduire la politique de la nation dans le cadre du mandat fixé lors de l’élection. Dans la mesure où la dissolution de l’Assemblée devient nécessaire faute de majorité tous les anciens mandataires sont déclarés inéligibles à vie.

Enfin on réformera :

. Le Conseil Constitutionnel : qui dans le contexte actuel ne peut être parfaitement objectif du fait de sa constitution. Mais la nécessité de se doter d’un organe de contrôle de la constitutionnalité des lois demeure.
. La Cour des Comptes qui doit devenir un véritable tribunal assurant la publicité des sanctions décidées.
. L’indépendance de la justice en tranchant en particulier le fait de savoir de qui dépend le ministère public.
. L’indépendance des médias
. Les hautes autorités de toutes sortes qui se multiplient et qui tendent par leurs avis à se substituer à la représentation nationale.
. La place de la Laïcité dans les institutions
. Le rôle du Conseil Économique et social qui devrait devenir un acteur de la vie politique.

Enfin il y aura lieu d’instaurer un débat sur le type d’Europe que nous voulons, le cadre actuel ne pouvant être considéré comme démocratique du fait du poids de la Commission Européenne non élue. Faut-il aller vers un type fédéral d’organisation selon le modèle des États-Unis afin que les fonctions régaliennes soient du ressort d’un gouvernement central tout en laissant les États libres pour les autres sujets. Ou bien faut-il imaginer un autre type d’organisation ou adapter ce qui existe déjà ailleurs ?

Jacques Lafouge