La dette
Lundi 27 janvier 2014, par
Gilbert Legay fait ici, au nom du cercle de l’Oise, une analyse de la question de la dette.
De tout temps, les rois et empereurs ont eu recours à la dette pour mener leur politique, satisfaire leurs ambitions ou leur volonté de conquête et de grandeur, sans pour autant avoir la sagesse de s’en donner les moyens par une bonne gestion de leurs finances. Mais alors que nous ne sommes plus au temps des banquiers juifs ou lombards et des excès de la finance privée, qui se sont encore répétés durant le 19e et le début du 20èmesiècle, il semble que depuis quarante ans, de nouveaux instruments et de nouvelles stratégies ont été inventées pour subordonner la démocratie à la volonté de la finance !
En juillet 1944, pour remédier aux conséquences des dérives de la finance mondiale, des accords internationaux ont été signés à Bretton Woods , où la France était représentée par Pierre Mendes France, accords répondant à la volonté du président Franklin Delano Roosevelt de prendre « les mesures collectives pour sauvegarder les peuples du monde de ce qui menace la paix, mesures pas seulement basées sur une machinerie pour gérer les disputes et prévenir les agressions, mais aussi sur une coopération entre les Nation visant à prévenir et supprimer les désajustements sociaux et économiques »… Déclaration qui reconnaissait implicitement la responsabilité du pouvoir des banques et de la finance internationale dans la crise de 1929 et dans le déclenchement de la seconde guerre mondiale.
Initialement, le système prévu était fondé sur une unité de réserve proposé par l’économiste anglais Keynes, le bancor, mais la solution adoptée en 1944, consacrera la prépondérance économique américaine, à quelques mois de la victoire prévisible des alliés. C’est donc sur le dollar, rattaché à l’or sur la valeur de 35 dollars pour une once d’or ( 31,103 gr ), que sera établi le système monétaire mondial à l’issue de Bretton Woods, les autres monnaies s’évaluant par rapport au dollar avec un premier « serpent monétaire ». Une autre disposition sera adoptée dans le cadre de ces accords : le principe mis en œuvre dans le New Deal en 1933 sous le nom de « Banking Act », connu maintenant comme la mise en œuvre de loi Glass-Steagall, instaurant pour les banques l’incompatibilité entre les métiers de banque de dépôt et de banque d’investissement, incluant un système d’assurance des dépôts bancaires et un plafonnement des taux d’intérêt.
Ainsi va s’exercer l’activité financière de 1945 à 1974, période que l’on a baptisé « les trente glorieuses », permettant dans une première phase, aux pays dévastés par la guerre de se reconstruire. Notre pays fut de ceux-là et usa des moyens à sa disposition pour financer cette reconstruction : la nationalisation des secteurs-clé de l’économie, le plan Marshall, une croissance de 5 à 7% dopée par une inflation de 52,6 en 1946, 49,2 en 1947, 58,7 en 1948 et 13,2 en 1949, accompagnant avec la reconstruction, le développement industriel et commercial du monde occidental. Cette forte inflation de ces années 50 n’eut pas un effet négatif, mais nécessita une importante création monétaire.
Durant une période de développement économique, il est logique de faire marcher « la planche à billets » car toute augmentation de la richesse produite implique une augmentation de la masse monétaire pour que l’on puisse continuer à vendre et acheter, mais le recours à la création de monnaie peut enclencher un phénomène d’inflation qui nécessitera à son tour l’obligation d’augmenter la masse monétaire. Durant une période normale de progrès économique, il est donc logique de faire marcher la « planche à billets » , mais pour qu’une légère inflation puisse avoir un effet positif sur l’activité industrielle et commerciale, elle doit être orientée vers des investissements productifs et non vers des charges improductives, comme ce fut le cas en France entre 1948 et 1958 avec les guerres d’Indochine et d’Algérie. Ce qu’un Etat doit éviter, c’est d’avoir recours à la planche à billets pour payer ses dettes ou régler des charges improductives… C’est précisément ce qui mettra fin aux accords de Bretton Woods, le système ne pouvant durer que si les Etats-Unis étaient en capacité de maintenir la valeur réelle de leur monnaie.
Dans les années 60, les Etats-Unis connaitront une difficile situation financière induite par la course à l’espace, où ils étaient en concurrence avec ce qui était encore l’URSS, et surtout, par les dépenses énormes consécutives à la guerre du Viêt Nam. L’inflation se développe aux Etats-Unis et se propage chez leurs partenaires européens qui ont accumulé d’importantes réserves en dollars …En 1964, le général de Gaulle demande le remboursement en or des dollars détenus par la France ; d’autres pays vont suivre, mais les Etats-Unis ne veulent pas voir fondre leur réserve d’or.
En France, les réformes Debré-Haberer de 1967 ouvrent la voie à la déréglementation financière avec le décloisonnement des activités et la liberté d’ouverture des guichets… C’est en France, la fin de la spécialisation bancaire et l’arrivée de « la banque à tout faire ».
Le 15 août 1971, le président Richard Nixon annonce la non-convertibilité du dollar en or, la masse de dollars en circulation dans le monde atteignant la somme de 53 milliards, soit cinq fois les réserves d’or du Trésor américain ! Cette décision de Nixon s’accompagne, pour les Etats-Unis, d’un gel des salaires, de réductions d’impôts et de taxes sur les importations.
Ces mesures relancent la consommation américaine mais sonnent le tocsin des accords de Bretton Woods, établissent le régime des « changes flottants » suivant l’offre et la demande et contraignent Nixon à une dévaluation du dollar de 7,9 % en décembre 1971… Il n’y a plus de contrepartie métallique à la monnaie émise , seulement de la dette !
Ces décisions auront aussi, entre autres conséquences, le premier choc pétrolier et un risque croissant d’inflation en Europe où sera mis en œuvre un nouveau « serpent monétaire » ( après celui inclus dans les accords de Bretton Woods ) que la chute continue du dollar va rendre inefficace. La menace de l’inflation obsède les gouvernements européens et la livre sterling puis la lire italienne vont quitter le « serpent » avant de dévaluer.
En France, Valéry Giscard d’Estaing, ministre des finances et le président Georges Pompidou, croient sans doute avoir trouvé la parade et font voter la loi du 3 janvier 1973 qui modifie le statut de la Banque de France et qui stipule dans son article 25 que « Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France » ce qui avait pour intention proclamée de juguler l’inflation et pour conséquence que l’Etat ne peut plus bénéficier des prêts sans intérêt de sa banque et doit désormais se tourner vers les banques privées et acquitter des intérêts… De nombreux commentateurs en sont arrivés, depuis plus de quarante ans, à la conclusion que les auteurs de cette loi ne pouvaient avoir comme objectif, en privatisant la dette , que d’abandonner entre les mains des banquiers ce qui relevait de la responsabilité des politiques, puisque le choix se résumait à emprunter sans intérêt à la Banque de France ou, avec intérêts, aux banques privées !
Le président Giscard d’Estaing s’estimant mis en cause publia en juillet 2008 sur la toile une réponse pour justifier la loi : « La réforme des statuts de la Banque de France (…) est une réforme qui a transposé en France la pratique en vigueur dans tous les grands pays (…excuse récurrente sans fondement réelle , cherchant à démontrer que c’est nous qui étions en retard ) : il s’agissait à l’époque de constituer un véritable marché des titres à court, moyen et long terme, qu’il soit émis par une entité privée ou publique. La possibilité du prêt direct de la Banque de France au Trésor public a généré partout où il fut appliqué une situation d’inflation monétaire permanente (…). Ce que vous supposez ( VGE s’adresse à ceux qui conteste la loi ) consiste à dire qu’on aurait pu remplacer un endettement visible et structuré par une simple émission monétaire. Mais ce serait ouvrir les bras au retour à l’inflation des années 1950 ».
Ce que le président VGE avait oublié , c’est que la tendance internationale en 1973 était à l’inflation du fait des variations du dollar, induites par la décision du président Nixon, aggravées par l’augmentation du prix du pétrole, par la concurrence des pays du sud et l’accélération des échanges avec des pays émergents (Chine et Inde ) où la main d’œuvre est beaucoup moins chère que dans les pays développés. Il en fera lui-même l’amer constat puisqu’à la fin de son septennat, le président VGE aura subi une inflation de 11%, record jamais égalé depuis ! ( … l’homme du passif !)… Autre détail oublié : pour que le système mis en place en 1973 fonctionne d’une façon vertueuse, encore aurait-il fallu que les prêts contractés pour boucler le budget en cours soit remboursés, principal et intérêts, dés le début de l’exercice suivant… ( ce dont s’acquittait l’Etat du temps du Général quand il n’y avait pas d’intérêt à la clé !).
A la fin de son septennat, le président VGE, laissait une dette accumulée en 7 ans d’un montant égale à 82,8 milliards d’euros, soit 229,15 milliards en euros constants, dans un paysage mondial qui se modifiait du fait de la faiblesse accrue du réseau financier américain.
Mais ni VGE, ni ses successeurs ne prirent la bonne habitude de s’acquitter de la dette et des charges afférentes, contractées sous leur responsabilité ; il est à prévoir que les historiens du futur tenterons de comprendre comment et pourquoi des politiques, louangés, décorés, formés pour assumer les plus hautes fonctions, ont continué, sans réagir, à appliquer un système aussi nocif en se contentant de repasser la « patate chaude » à leur successeur !..Ceux de gauche s’exonérant par avance en reportant toute responsabilité sur l’auteur de la loi ; ceux de droite en pensant que l’auteur en question serait toujours assez grand pour se défendre lui-même ( … Ce qu’il n’a cessé de faire, nous venons d’ailleurs de citer une de ses réponses ! ).
Après la fin du septennat giscardien et l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, le paysage financier sera en pleine restructuration avec l’adoption de loi bancaire en 1984 : trente–six banques seront nationalisées par le programme commun avant qu’un mouvement inverse de privatisations se décide en 1987, faisant émerger plusieurs grandes banques françaises à vocation internationale ( BNP-Paribas, Société générale, Crédit agricole, Natixis…). Durant cette période, la France, comme tous les pays pénalisés par la hausse du dollar, va continué a creuser ses déficits… Mais elle sera encore pour quelques années, en pourcentage de son PIB, le pays le moins endetté d’Europe à l’exclusion du Luxembourg. La restructuration se poursuivra avec une nouvelle loi bancaire en 1996 et l’arrivée de l’euro.
En 1999, le président américain abroge la disposition Glass- Steagall et les établissements bancaires américains retrouvent leur entière liberté d’action…Et nous connaitrons très vite la bulle immobilière et la crise des subprimes de 2006, déclencheur d’une nouvelle crise mondiale.
La suite de l’histoire, vous l’avez tous vécu : tous les présidents qui se sont succédés ont ainsi alourdi cette dette car, si la loi de janvier 1973 fut abrogée en date du 1er janvier 1994 car les articles 104 du traité de Maastricht et 123 du traité de Lisbonne renouvelaient les mêmes obligations et devenaient porteurs de l’initiale dangerosité…Et il est beaucoup plus difficile de modifier un traité que d’abroger une loi ! Certains observateurs avancent une thèse plus hardie : la loi du 3 janvier 1973, en portant atteinte à la souveraineté monétaire de l’Etat, n’était que la première étape d’un processus, poursuivi avec les traités de Maastricht et Lisbonne que nous venons de citer, vers la réalisation de l’Europe fédérale, privant chaque Etat de ses diverses souverainetés monétaire, militaire, économique et sociale… C’était la réalisation du rêve de Jean Monnet qui , contre la volonté du Général de Gaulle, a œuvré toute sa vie pour la dissolution des nations dans une grande entité européenne !
En France, l’Etat a mis en place un service à la dette pour nous acquitter de cette dette qui grandit d’année en année, non seulement parce que nous continuons à emprunter mais aussi par le simple cumul des intérêts… Ainsi la dette publique, en forte augmentation depuis 2003, « pesait » 1211 milliards d’euros en 2008 et 1833 milliards en 2012 soit une augmentation de 50% en cinq ans !.. Cette augmentation ne nous dispense pas de rembourser par le « service à la dette », assuré chaque année en fonction des contrats souscrits et dont les clauses varient suivant le montant, la durée du prêt et sont déterminées par un échéancier qui précise ce qui est acquitté en « principal » et en « charges ». L’ennui, c’est que les mauvaises habitudes se perpétuant, certains remboursements récents ont été compensés par de nouveaux emprunts.
Ainsi en 2006, le service de la dette nous astreignait à payer 127,2 milliards d’euros ; ce règlement fut couvert par un emprunt de 86,2 milliards d’euros et un apport complémentaire pris sur les recettes de l’Etat.
En 2007, les 118 milliards de service à la dette furent financés par des emprunts pour un même montant.
En 2008, les 153,4 dus furent financés par des emprunts pour 191,8 milliards.
En 2009, les 164,7 dus furent financés par des emprunts pour 259,8 milliards.
En 2010, les 150,9 dus furent financés par des emprunts pour 192,2 milliards.
Ces chiffres rappellent hélas le cas de quelques citoyens lourdement endettés
qui souscrivent de nouveaux prêts pour régler les échéances des dettes qu’ils ont contractées antérieurement.
Il est intéressant de rappeler qu’en 2012, les seuls intérêts de la dette, se montent à plus de 48 milliards d’euros soit à quelques millions près, l’équivalent de ce que payent les Français avec l’impôt sur le revenu et que le service de la dette avoisine les 120 milliards, légèrement inférieur à ce que rapporte la TVA !.. Et les chiffres ne se sont pas améliorés depuis !
Il est évident que cette charge qui augmente chaque année pèse dangereusement sur l’équilibre financier de la Nation sans que les médias, et encore moins le microcosme politique, n’abordent le sujet autrement que pour faire peser sur les citoyens, la responsabilité d’une telle situation…En son temps, Raymond Barre, n’avait pas fait autre chose en répétant, lors de ses interventions publiques que « les Français vivaient au-dessus de leurs moyens ! »… Bottant en touche pour se disculper, nos dirigeants ont tout loisir pour mettre en œuvre les solutions de facilité : à gauche, en augmentant les impôts et les taxes et en promettant de réduire le « train de vie de l’Etat », à droite, en multipliant les allégements fiscaux pour les plus riches et les grandes entreprises ( niches fiscales pour les uns, bouclier et paradis fiscaux pour les autres ), toutes ces mesures, plus quelques privatisations, sous le fallacieux prétexte de relancer la consommation… Je caricature un peu mais je ne suis pas loin de la réalité !
Depuis plus de trente ans, alors qu’il devrait s’inquiéter de l’augmentation de la dette, nos responsables politiques n’abordent le sujet que pour se disculper en rejetant toute responsabilité sur ceux qui, avant eux, se sont succédés à la tête de l’état, sur les trente-cinq heures ou sur les contraintes de la mondialisation, que notre pays n’aurait pas su aborder avec le dynamisme souhaitable. Seuls quelques personnalités, moins préoccupés de se soumettre à la doxa libérale, ont tenté de se faire entendre ; ainsi, Philippe Séguin devant l’Assemblée National, prononce le 5 mai 1992, un discours devenu célèbre où il manifeste son opposition à l’intégration supranational. Son propos ne concerne qu’indirectement le problème de la dette, qui se pose déjà à l’époque, mais cible l’absence de démocratie et l’abandon de la souveraineté nationale, en particulier dans le domaine monétaire et financier ( je le cite ) : « … la construction européenne se fait sans les peuples, elle se fait en catimini, dans le secret des cabinets, dans la pénombre des commissions, dans le clair-obscur des cours de justice. Voilà trente-cinq ans que toute une oligarchie d’experts, de juges, de fonctionnaires, de gouvernants prend au nom des peuples, sans en avoir reçu mandat, des décisions dont une formidable conjuration du silence dissimule les enjeux et minimise les conséquences ». L’exception d’irrecevabilité déposée par lui et plusieurs de ses collègues sur le projet de loi constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht sera repoussée par 398 voix contre 77 et 99 abstentions. Que n’a-t-il poursuivi son combat au lieu de s’incliner devant une majorité de godillots ?
Plus tard et à plusieurs reprises, François Bayrou rappellera le danger de cette dette dont le poids n’a cessé depuis de s’alourdir. Que n’avait-il pas clamé plus tôt son opposition à la loi de Valéry Giscard d’Estaing quand il était son second au sein de l’UDF ?.. Peut-être à l’époque avait-il plus à perdre qu’à gagner en s’opposant à son leader ?
Récemment, au début 2013, semblant sortir d’un long sommeil, l’ex-grand espoir de la gauche, Michel Rocard lui-même, a déclaré au micro d’Europe 1, que les difficultés de la France n’était pas du à la fatalité mais à la loi de 1973, qualifiée de « stupéfiante », prise par une majorité de droite, au service des intérêts bancaires privés. Lui aussi se réveille un peu tard alors que la loi date de plus de quarante ans et qu’elle s’est trouvée confirmée par les traités de Maastricht et de Lisbonne ?
Seuls Nicolas Dupont Aignan et Jean-Pierre Chevènement ont mêlé leurs voix à quelques responsables d’associations rebelles pour dénoncer les effets pervers de la loi Giscard-Pompidou et cela, « malgré le terrorisme intellectuel qui règne aujourd’hui et qui disqualifie par avance quiconque n’adhère pas à la nouvelle croyance ! » comme l’avait déjà souligné Philippe Séguin dans son discours.
Il n’est pas nécessaire d’insister pour que chacun prenne conscience de la tournure dramatique de la situation… Alors se pose une simple question :
Comment en sortir ?
Le poids de la dette publique croît d’année en année et pèse dangereusement sur l’équilibre de nos finances ; le service à la dette ampute les dépenses de fonctionnement et d’équipement des services publics ou d’intervention dans les domaines sociaux et économiques (… de la recherche fondamentale au coût du chômage ), c’est-à-dire de tout ce qui relève des charges régaliennes de l’Etat. Toute rétention de budget dans ces domaines, surtout s’il se traduit par une privatisation, a pour conséquences une augmentation des coûts, une perte de pouvoir d’achat, une montée du chômage, une stagnation commerciale et industrielle et à court terme, une baisse des recettes fiscales… C’est l’infernal cercle vicieux !
Pour avoir une idée de la difficulté, il faut savoir si nous pouvions nous dispenser de la charge que constitue le service de la dette, cela nous permettrait de financer nombre de projets en attente pour longtemps ! C’est un gouffre dans lequel nous allons tomber irrémédiablement !
A ce stade, plusieurs thèses s’opposent pour en sortir :
– Certains avancent d’emblée une solution radicale : ne plus payer !.. Ils argumentent à partir d’un constat : chaque année par le service à la dette nous avons payé une partie du capital emprunté ( le principal ) et d’autre part les intérêts ( les charges) à devoir. Or entre le début 1980 et la fin de 2006, nous avons payé 1142 milliards d’euros d’intérêts alors que la dette, durant cette période a augmenté de 913 milliards d’euros. Si nous avions emprunté , et remboursé, ces 913 milliards à la Banque de France et sans intérêt, comme se qui se passait du temps du Général, nous aurions économisé 229 milliards soit le montant de notre dette en 1980. . La dette serait éteinte !
Bien que commençant à se répandre, cette solution du non-paiement est quasiment impossible à envisager sous peine de nous isoler dans le concert des nations et de perdre tout crédit. Elle ne serait envisageable que si le monde entier était d’accord pour réorganiser de A à Z le système bancaire mondial ? Donc, virtuellement impossible !
Il ne reste que deux solution dans le domaine du crédible :
– La première exige simultanément de la lucidité et du courage politique, denrées hélas ! très rares à notre époque !.. Solution qui ne consiste pas à renverser la table, mais a changer les règles du jeu !
En décembre 2008, quand l’édifice de l’Europe fédérale vouée au « marché libre et non faussée » commençait à se fissurer, une personnalité de premier plan du macrocosme politique déclarait dans un éditorial de la revue de son parti ( je cite » : « L’Europe, telle qu’elle a été conçue au départ par ses pères fondateurs ( ? ) a magnifiquement réussi à imposer la paix et à propager la démocratie et la prospérité économique, à tisser la solidarité avec les régions les moins développées, à promouvoir la défense des droits et à rapprocher les peuples »… Difficile, en si peu de mots de brosser un tableau aussi contraire à la réalité marquée par la guerre économique, le déni de démocratie, l’explosion des déficits, la montée du chômage, la détérioration des droits les plus fondamentaux ( travail, retraites, santé, éducation, sécurité…) telle que l’Europe est vécue actuellement par les hommes et les femmes de notre continent… Quant au rapprochement entre les peuples, c’est le marché qui dicte sa loi opposant ceux qui se soumettent à ceux qui résistent.
– Alors, une solution reste, qui serait la solution de bon sens devant l’échec patent de l’Europe de Maastricht et de Lisbonne : revenir au rêve des « vrais pères fondateurs » Charles de Gaulle et Conrad Adenauer et au projet d’infléchir la trajectoire européenne, non vers un fédéralisme supranational mais une confédération d’Etats-nations … Car le problème de la dette est désormais intimement lié aux règles de la construction européenne. La solution de Gaulle-Adenauer avait été formalisée en 1961 par une commission d’études présidée par Christian Fouchet. Après une présentation au sommet de Bonn en juillet 61de ce que l’on appelait le « plan Fouchet », une version complétée par certains souhaits du Général sera prête au début 1962. Le plan Fouchet dans son ultime version sera repoussé en avril 62, les autres pays partenaires de la France dans ce qui n’était alors qu’une « Europe des six » ne voulaient pas remettre en cause les accords stratégiques entre l’Europe et les Etats-Unis. Cette vision aurait permis à chaque pays d’une Europe confédérale de n’avoir pas à subir les règles de Bruxelles, de conserver sa constitution ( pour nous, nos services publics , la laïcité et notre pacte social issu du Programme du CNR ) pour mieux converger dans tous les autres domaines : synergies politiques et économiques, échanges culturels et scientifiques, respect des droits de l’homme, de l’humanisme et de la liberté…
Fidèle à sa langue et à sa culture, en accord avec une Charte rénovée des Droits fondamentaux ( intégrant, sans obligation, le principe de laïcité ), chacune des nations aurait pu tisser avec ses voisines du continent un réseau ouvert à toutes les convergences et non à la logique de la compétition et de la concurrence.
Cette nouvelle organisation politique permettait à chaque pays de retrouver sa souveraineté monétaire avec, pour nous, le franc comme monnaie national et l’euro, non plus comme monnaie unique, mais comme monnaie commune , pour les échanges internationaux… Ce qui nous permettrait de dévaluer le franc si nécessaire et de renégocier les conditions de nos prêts.
Rappelons, afin que chacun mesure justement l’importance posée par cette lourde charge récurrente, que les seuls intérêts payés cette année par le service à la dette comblerait plusieurs fois le déficit de la Sécurité Sociale et ce qui fait défaut ( 20 milliards) pour remettre à flot de système des retraites ! Cette vision de l’Europe reste encore envisageable !.. Mais obligerait à une remise en cause des traités existants.
– La seconde solution est simple ; elle consiste à continuer sur le chemin tracé par les partisans de l’Europe fédérale ( c’est leur droit et leur choix ) soumise aux lois du « marché libre et non faussé », avec une amplification de ce que nous connaissons déjà : augmentation de la dette par la soumission au pouvoir des banques, détérioration du marché du travail, non respect de la laïcité et porte largement ouverte au communautarisme et aux intégrismes, privatisation de tous les services publics avec des augmentation de tarifs et la baisse du pouvoir d’achat pour tous… Et à terme la dissolution de la République, de la France et de langue française dans le grand chaudron européen.
Certains disent que c’est le triomphe du libéralisme ?.. Nous ne le croyons pas !
Le libéralisme ce n’est pas cela… S’il est souhaitable d’en freiner certains abus, tous les hommes ou femmes responsables, préfèrent placer les rapports humains, quelque soit leur nature (… y compris les rapports économiques ) sous le signe de la liberté… De là à tout tolérer, il y a une marge considérable et l’on ne peut admettre sans réagir un système qui écrase tout sur son passage, multipliant les injustices et niant les valeurs qui ont façonné notre héritage commun.
Deux penseurs respectés en matière de libéralisme avaient pourtant bien défini leur doctrine en soumettant à notre réflexion deux sentences sans ambiguïté :
La première est de Tocqueville, grand prophète du libéralisme :
Préoccupé du seul soin de faire fortune,
les homme n’aperçoivent pas le lien étroit qui unit
la fortune particulière de chacun à la prospérité de tous .
La seconde est du pape du libéralisme, Adam Smith :
Aucune société ne peut prospérer et être heureuse
si la plus grande partie de ses membres est pauvre et misérable.
Depuis longtemps, la dette est au centre des préoccupations de nos gouvernants ; son remboursement, assuré par France Trésor, augmente chaque année, sans que le gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche, puisse trouver une solution pour sortir de la nasse, paralysé qu’il demeure par les réglementations européennes et une monnaie surévaluée. Rappelons que pour sortir de la crise de 1929, le New Deal de F.D.Roosevelt avait dévalué le dollar de 60% et imposé les revenus de plus de 200 000 dollars ( soit un million de dollars d’aujourd’hui) à 63 %, puis à 79% en 1936, taux qui attendra 91% en 1941… Et se stabilisera autour de 80% jusqu’aux années Reagan. En France, un prélèvement à 75 % sur les très gros revenus est actuellement envisager et encore loin d’être mis en œuvre… Pure diversion d’ailleurs, car si les deux partis dominants de la gauche et de la droite, le PS et l’UMP , divergent sur les méthodes, ils restent convergents sur les objectifs et la soumission à l’ultra libéralisme. Ils sont bien servis dans leur enfumage de l’opinion par la presse et les médias radio et télévisuels, contrôlés à 90% par la grande finance, voire par les marchands d’armement. Cette situation nous rappelle la crainte sur le devenir de la presse exprimée par Albert Camus dans un de ses éditoriaux de Combat en 1945 :
L’appétit de l’argent et l’indifférence aux choses de la grandeur
opérant en même temps, vont donner à la France une presse qui,
à de rares exceptions près, n’aura d’autres but que de grandir la puissance de quelques-uns et d’autres effet que d’avilir la moralité de tous !
Nous n’en aurions pas terminé avec notre sujet si l’on oubliait d’évoquer des causes aggravantes de cette dette : la fraude fiscale qui plombe les recettes de l’Etat !... Et aussi les paradis fiscaux dont un président de notre République nous a affirmé, les yeux dans les yeux, que « c’était fini » !
Savez-vous que plus de la moitié du commerce mondial ( tout au moins celui qui est connu !) passe par les paradis fiscaux, tout comme 85% des opérations bancaires internationales, savez-vous que d’après le FMI, le bilan cumulé des petits paradis (… les gros sont en plus !) s’élève à 18000 milliards de dollars, soit le tiers du PIB mondial ?
Savez-vous que d’après une enquête du Tax Justice Network ( réseau américain indépendant pour la justice fiscale), 99 des 100 plus grandes entreprises européennes ont recours à des filiales off-shore et que les minuscules îles Caïmans sont le quatrième centre financier mondial où s’abritent quelques grandes fortunes ?
Savez-vous qu’une commission sénatoriale a montré que la fuite des capitaux et leurs incidences fiscales coutant de 40 à 50 milliards d’euros chaque année au budget de la France et qu’une autre enquête, celle du journaliste Antoine Peillon a estimé que les avoirs dissimulés au fisc équivalaient la recette fiscale annuelle de notre pays…Planqués, entre autres refuges, dans des pays limitrophes comme la Suisse ou la Grande Bretagne ou « fondateurs de l’Union européenne » comme la Belgique et le Luxembourg ?
Savez-vous que ce racket bancaire est en connexion avec la criminalité organisée, impliquant dans les mêmes circuits financiers des mafiosos et de soi-disant « respectables réseaux » dont les noms des membres font l’actualité « people » en lien avec le monde politique ? Si vous souhaitez en savoir plus sur ces réseaux et sur les personnalités concernées, vous pouvez rechercher les rares échos diffusés dans la presse suite aux investigations du magistrat Renaud Van Ruymbeke ou lire l’excellent livre d’Edwy Plenel « Le Droit de Savoir »…
Ne vous attendez pas à entendre les échos de cette actualité pourtant brûlante dans les bulletins d’information de nos grandes chaînes nationales… Pour ne pas en parler, on donnera une importance démesurée à des faits divers d’intérêt mineur du genre : « qui va devenir le ballon d’or cette année » ou « X ou Y aura-t-il terminé sa préparatoire pour les Jeux d’hiver ? » …
Nous pourrions encore disserter longtemps sur le sujet, mais la réalité telle que chacun peut la vivre, ou la subir, nous démontre que la dette, la pesanteur des structures de l’Europe, la surévaluation de l’euro et la fraude fiscale tout est lié, et font partie d’un même projet global qui sert des intérêts particuliers sous couvert de servir l’intérêt général !..
Pour clore ce trop rapide survol d’un sujet d’une extrême gravité, nous voudrions vous proposer une conclusion avec les propos tenus par un étranger à notre pays, un personnage qui est aussi un observateur attentif de la vie de la société humaine … Il s’agit de quelques lignes qui dénoncent et résument bien le jugement que chacun peut porter sur le devenir de notre société : le problème de la dette est intimement lié aux structures politiques qui nous ont dépouillé de notre souveraineté nationale dans les domaines les plus essentiels. Cet homme est un écrivain mondialement connu, âgé de 82 ans, ex-professeur à Eton puis agent du contre-espionnage britannique durant l’époque du mur de Berlin ; cet homme, ( vous l’avez sans deviné ), c’est le romancier John Le Carré… Interrogé « La Constance du Jardinier », où il dénonce le cynisme des multinationales pharmaceutiques, il a déclaré :
« Nos comportements me paraissent symboliser l’échec des espérances qu’avaient nourries la fin de la guerre froide. A ce moment de notre histoire, nous aurions pu dessiner un nouvel équilibre du monde. Au lieu de quoi nous nous sommes contentés de donner carte blanche aux entreprises multinationales. Résultat : les nouveaux exploiteurs, les nouveaux colonialistes ne sont plus désormais des nations mais des groupes transnationaux sans visage, introuvables, inaccessibles. Voilà comment nous avons libéré le monde ! Pour qu’aujourd’hui, sur les cent plus grandes puissances économiques de la planète, cinquante et une soient des multinationales et seulement quarante –neuf des Etats ! »
Sans ambitionner de dessiner un nouvel équilibre du monde, les citoyens de notre pays pourraient-ils redéfinir une nouvelle Constitution afin de concilier leur fidélité à la République avec leur souhait de coopérer et de vivre en bonne intelligence avec les autres peuples européens…
Et aussi, bien sûr, avec tous les humains de bonne volonté de notre planète !
Gilbert Legay pour le cercle de l’Oise