Article de André Bellon sur la diplomatie française
Mercredi 10 décembre 2014, par ,
La fondation Gabriel Peri avait organisé le samedi 30 novembre un colloque sur le thème "La diplomatie française a-t-elle perdu le Nord et la boussole avec ?".
André Bellon y est intervenu sur la diplomatie française vis-à-vis de l’Afrique.
Nous reproduisons ci-dessous et en pièce jointe son article publié dans l’Humanité ce mercredi 10 décembre.
Par André Bellon
Ancien Président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale
La France a-t-elle encore une diplomatie ? Rien n’est moins sûr. La politique extérieure du gouvernement actuel semble réduite à une navigation à vue marquée par le souci de ne déranger ni les États-Unis, ni l’équilibre bruxellois, ni les marchés financiers.
Cette pusillanimité est particulièrement symbolisée par l’extravagant et insultant refus de survol du territoire français infligé au Président bolivien Evo Morales au fallacieux prétexte qu’il transporterait Edward Snowden dont certains pensent d’ailleurs que la France des droits de l’homme aurait dû l’accueillir.
Dans un tel contexte, la diplomatie française en Afrique apparait comme le cache misère de tout le reste.
Au-delà de quelques déclarations sans grandes conséquences, la vision de l’Afrique francophone par la France n’a pas beaucoup évolué depuis des décennies. La Françafrique a même été légitimée par la gauche sous les présidences Mitterrand, au-delà d’un fugitif discours de Cancun. Il serait d’ailleurs temps d’ouvrir la boite noire des années Mitterrand, dont les effets pèsent sur l’inconscient d’une gauche qui n’arrive même pas à en parler. Un symbole d’ailleurs que de faire le parallèle entre le discours de Mitterrand à la Baule sur la démocratie en Afrique et la présence de Mobutu à ses côtés lors du rassemblement des pays pauvres sur le parvis des droits de l’homme pour le bicentenaire de la Révolution. Le scandaleux discours de Sarkozy à Dakar se situa finalement dans une continuité assez banale de mépris et de cynisme, accentuée dans les termes.
Ce qui, en revanche, a changé, c’est le contexte dans lequel baigne cette continuité de pensée. La position de la France n’est plus aussi dominante qu’autrefois. Des chercheurs tels qu’Antoine Glaser en arrivent même à évoquer dorénavant l’Africafrance, marquant le poids croissant des proconsuls africains sur les choix politiques français, Houphouët Boigny, Bongo père et fils, Compaoré et, sans doute déjà, Idriss Déby. De nouveaux acteurs, Chine, Canada,… Interviennent dans des zones jusqu’alors réservées même si Bouygues et Bolloré continuent de profiter du système. On peut dire que, petit à petit, la relation France Afrique conserve ses défauts et ses inconvénients tout en perdant ses avantages.
Dans un tel contexte, la présence française ne peut se faire qu’au coup par coup, sans grande vision diplomatique et sans grande analyse des causes qui ont généré les crises. Le pompier pyromane, comme en Centrafrique, oublie de regarder le passé qui a conduit au drame. Et s’il est vrai que l’intervention pouvait s‘imposer au Mali, on ne saurait éluder la responsabilité de l’intervention précédente, en Lybie, dans la déstabilisation du Sahel. Chaque coup cherche ainsi à pallier le coup précédent, toujours dans l’urgence, oubliant de ce fait les nécessités de la diplomatie, par exemple par rapport aux Touaregs au Mali. La diplomatie laisse la place à l’option sécuritaire et le diplomate au militaire.
Petit à petit, l’Afrique francophone s’émiette tout en restant en théorie cohérente, en particulier dans domaines monétaires et financiers (Franc CFA, Banques régionales,…). Le mythe d’un grand espace francophone perdure, dans un contexte où les pires ennemis de la langue française sont les cadres et dirigeants français comme le remarque le Président Abdou Diouf. En fait, s’il est légitime de vouloir une diplomatie forte et fondée sur des liens historiques, sur une zone d’intérêts réciproques, la solution est avant tout dans la clarification d’une pensée pouvant porter une volonté en France même. Mais voilà : la France a –t-elle une volonté ?