Yanis Varoufakis, Jacques Sapir : À trop caresser un cercle, il devient vicieux
Mardi 25 août 2015, par ,
Yanis Varoufakis, Jacques Sapir : À trop caresser un cercle, il devient vicieux
C’est peu de dire que la crise grecque a mis en lumière les contradictions de la période. C’est peu de dire qu’elle a mis chacun au pied du mur, à savoir la question de rester ou pas dans le cercle des règles qui fondent la vie politique en France et sous l’égide de l’Union européenne.
Depuis quelques jours s’accumulent les déclarations appelant à une recomposition des paysages politiques. Ainsi, interrogé par EurActiv sur l’émergence potentielle d’une alliance des gauches européennes, Yannis Varoufakis a déclaré : « Ce que je pense c’est qu’une alliance d’Européens en provenance de tout le spectre politique qui partagent une idée très radicale, celle de la démocratie, est possible ». À un autre bout de ce spectre, Jacques Sapir appelle à un Front rassemblant l’ensemble des forces, y compris des forces de droite, qui aujourd’hui appellent à sortir de l’Euro. « A partir du moment, dit-il, où l’on se donne comme objectif prioritaire un démantèlement de la zone Euro, une stratégie de large union, apparaît non seulement comme logique mais aussi nécessaire ». Et de faire référence à l’appel de Stefano Fassina, qui fut un des responsables du Parti Démocrate en Italie, appel qui a été relayé sur le blog de Yanis Varoufakis. Jacques Sapir va d’ailleurs jusqu’au bout de sa logique en déclarant : « Mais on voit bien, aussi, qu’à terme sera posée la question de la présence, ou non, dans ce « front », du Front National ou du parti qui en sera issu et il ne sert à rien de se le cacher ».
Ainsi, qu’il s’agisse de conforter l’euro ou d’en sortir, de confirmer la nécessité de la construction européenne ou de la critiquer, les nouveaux discours politiques placent enfin la question démocratique au rang de priorité par-delà les appartenances politiques. Ce n’est pas que le clivage droite-gauche disparaisse. Il existe toujours mais il est transcendé par une nécessité première, la démocratie dont le rétablissement lui permettra d’ailleurs de retrouver sens. Sans retour à la démocratie, le débat droite-gauche tourne à vide.
On ne peut que saluer cette découverte de l’œuf de Colomb.
Bien évidemment, on pourra critiquer chez Varoufakis l’absence d’hypothèse de sortie de l’euro, chez Sapir l’hypothèse d’alliance avec le FN. Mais dira-t-on enfin que l’un comme l’autre oublie ou refuse de dire que la démocratie n’est que l’autre nom de la souveraineté populaire ? Ils pensent stratégie électorale sans s’interroger profondément sur la refondation de la démocratie, seule revendication potentiellement majoritaire et porteuse de changements réels. Car sa rénovation doit mettre fin à l’asservissement et à l’humiliation qui interdisent aux citoyens d’exprimer leur volonté et de la faire respecter. C’est le peuple, seul qui, en Grèce comme en France, dispose de la légitimité pour sortir des jeux tactiques stériles qu’impose un système politique déconnecté des réalités et dont les acteurs se jouent la comédie du pouvoir. Pour se manifester, cette légitimité nécessite l’élection d’une Assemblée constituante au suffrage universel en France et, pourquoi pas, dans chacun des pays.
Celle-ci permet de sortir du cercle vicieux dans lequel s’enferme Jacques Sapir et consistant à chercher des alliances pour réaffirmer la souveraineté populaire et nationale sans référence aux principes de base de la démocratie et de la République. Il est très significatif que le FN écarte cette refondation : Marine Le Pen, interrogée à l’Assemblée nationale par la presse parlementaire le mercredi 18 février 2015, a elle-même déclaré que « Les institutions de la Ve République sont tout à fait aptes à exprimer la démocratie pour le peuple français », marquant ainsi son hostilité à la Constituante. Fallait-il que se manifeste le risque FN pour qu’on s’interroge enfin sur la nocivité du jeu politique français et européen ?
En France, la Constituante doit permettre d’atteindre cette souveraineté dans le cadre des principes qui ont émergé lors de la Révolution française, en particulier la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (mais aussi l’insurrection républicaine de 1792) comme le point de départ d’un travail constant d’approfondissement des libertés au travers du débat droite-gauche. C’est d’ailleurs l’un des enseignements de l’expérience du Conseil national de la résistance où la nation a puisé dans les tréfonds de son histoire démocratique et républicaine pour se rassembler et abattre le régime de Vichy et le nazisme. Ce sont les citoyens attachés à ces principes tirés de 1789 et de notre histoire républicaine (1792) qui peuvent redonner sens à leur propre souveraineté en redéfinissant les règles du jeu démocratiques dans le pays comme dans les relations extérieures en permettant la remise à plat des traités qui lient la France.
Oui, la crise grecque a obligé à repenser la sortie d’une crise sans précédent depuis longtemps. On s’inscrira ou pas dans l’Europe telle qu’elle existe, on parlera ou non de telle ou telle alliance politique pour en sortir, mais tous ces discours resteront sans conséquence ou pire conduiront à d’autres drames si n’est pas enfin posée, en dehors du paysage politique existant, c’est-à-dire également du jeu des partis politiques, la question de la reconstruction du peuple et de sa souveraineté.