Destruction programmée de la République Sociale
Samedi 19 mars 2016, par
Jean-Michel Parot est membre du Cercle de Guéret.
La lecture d’une publication récente sur le Canard républicain [1] a ravivé dans mon esprit le petit signal d’alarme lancinant qui y résonne pratiquement sans interruption depuis le référendum de 2005 et le contournement réactionnaire de son résultat.
Ce contournement mis en œuvre d’un commun accord par la quasi totalité de la classe politique et des représentants de la Nation porte un nom : forfaiture.
Mon petit signal d’alarme mental gagne exponentiellement en force depuis 2005 au même rythme que progresse le déni de démocratie de nos gouvernants, fussent-ils de droite ou de gauche de gouvernement. Leur volonté inavouable de détruire la République Une et Indivisible instituée par la Révolution Française, de dépecer la République Sociale et de sacrifier les acquis du CNR aux cyniques tenants de la « mondialisation heureuse » n’est que par trop évidente. Sans une réponse politique qui redonnera le pouvoir au Peuple, le danger est grand pour la République Française de finir en état libéral dérivant au vent mauvais de la casse sociale et de la « concurrence libre et non faussée ».
Mais que dit la publication du Canard républicain ? Elle met en évidence deux mesures parmi dix autres publiées dans le numéro spécial sur l’emploi de la revue Challenge parue en Janvier 2016. Je les cite ci-dessous, vous pourrez vous référer au Canard républicain et à la revue Challenge pour plus de détails :
– Régionaliser le temps de travail, les politiques de l’emploi, du logement
– Créer un SMIC en fonction de l’âge et des régions
Pour qui sait lire, il s’agit de diviser pour régner, pour instituer la « concurrence libre et non faussée » tant vantée par nos apparatchiks Européens, non élus faut-il encore le rappeler ?
Le danger mortel pour tous les travailleurs, salariés ou non, est bien là, dans cette mise en concurrence de tous contre tous. Ce danger progresse sous le couvert de la régionalisation, ce monstre politique imposé de force par nos dirigeants sans consultation aucune. Ce coup de force, préparé de longue date et acté dans la régionalisation en place depuis le 1er janvier 2016, en appelle d’autres.
On comprend très vite à lire l’article de Challenge que la régionalisation n’est pas une simple opération administrative mais qu’elle poursuit des buts politiques beaucoup plus ambitieux. Elle met enfin la France en conformité avec la doxa de Bruxelles (ou/et de Francfort) pour faire perdre par ce moyen toute spécificité au modèle social hérité de 1789 et de 1945. La régionalisation prépare une union Européenne fédérale et atlantiste dans laquelle les états-nation disparaîtront au profit des grandes régions (ou de leurs regroupements selon des modalités à venir) et des grandes métropoles. Mais ce n’est pas tout car ces entités d’essence supra nationales seront mises systématiquement en concurrence les unes avec les autres et devront faire preuve d’attractivité pour survivre ou du moins garder une taille critique suffisante pour pouvoir continuer à peser dans les décisions au niveau des instances dirigeantes de l’Union Européenne.
Cette concurrence inter régionale se répercutera nécessairement sur les citoyens et sur leurs conditions de vie. C’est ce que montrent trop bien les deux propositions mises en avant par Challenge et qui ne sont que les prémisses des ruptures à venir et de la marchandisation croissante de la main d’œuvre au profit des grands groupes industriels et financiers qui organiseront la compétition à leur seul profit.
Le traité TAFTA prendra alors tout son sens et toute sa force en permettant la dernière étape de la désintégration des nations en leur déniant toute capacité juridique dans le règlement de leurs affaires commerciales au profit de tribunaux arbitraux soumis à l’extraterritorialité du droit Américain (Cette extraterritorialité constitue la fondation juridique du TAFTA).
Dans le processus de régionalisation, chaque citoyen sera victime d’un double mouvement, d’une redoutable tenaille politique.
De par la taille géographique des grandes régions, de par la concentration des pouvoirs en leurs centres économiques éloignés des territoires de vie, de par la disparition programmée des départements au profit des grandes régions et des communes au profit de communautés de communes qui reproduiront la concentration du pouvoir à leur échelle, le citoyen se trouvera éloigné de ses élus [2] et orphelin de la démocratie locale. S’il fait encore son devoir républicain (voter pour élire ses représentants), il votera pour des quasis inconnus qu’il aura peut-être croisés lors du barnum électoral dans le meilleur des cas. Il n’y aura rien de plus démotivant que cette reproduction au niveau des élections régionales des défauts rédhibitoires de l’actuel processus d’élection des députés Européens. Voici pour la première branche de la tenaille, l’éloignement du citoyen de la vie politique.
L’autre branche de la tenaille se nomme « mobilité » en termes politiquement corrects. Si l’on est moins respectueux, on l’appellera « exploitation » ou « précarisation » des travailleurs. Pour construire ce retour en arrière, cette réaction, les décideurs et les lobbies doivent encourager l’individualisme forcené, détruire la solidarité, détruire l’égalité et si possible la liberté. Le citoyen, travailleur ou chômeur, devra s’adapter en permanence aux variations de l’activité économique résultant de confrontations directes entre les régions de l’Europe fédérale et bien au delà, des confrontations entre blocs économiques dans un monde globalement géré par les entreprises transnationales qui profiteront de la démission, ou de la complicité, de la classe politique professionnelle. Pour arriver à cela, les pouvoirs s’attaqueront prioritairement à l’éducation, au droit du travail, à la solidarité nationale ou encore à la laïcité car rien n’est moins souhaitable que des citoyens éduqués aux principes républicains. Se mettra ainsi en place, dans la durée, une dictature économique douce [3] dans laquelle la seule réponse aux revendications sera « TINA » [4].
Les deux branches de cette tenaille ont commencé à se refermer sérieusement depuis la promulgation de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République et celle de la loi n° 2006-823 du 10 juillet 2006 qui autorise l’approbation de la Charte européenne de l’autonomie locale.
Il faut prendre au sérieux et pour ce qu’elle est la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, loi qui met fin de facto à la République Une et Indivisible.
L’article 1 de la loi constitutionnelle spécifie clairement que l’organisation de la République est maintenant décentralisée. Par conséquent, tout qui était du ressort de la République doit être transféré aux régions ou aux communautés d’agglomérations ou de communes.
– Ceci signifie la fin de l’égalité des citoyens Français sur le territoire national et c’est bien dans ce sens que s’exprime la revue Challenge et derrière elle le MEDEF. Cela signifie aussi la fin de la démocratie locale.
– Cela signifie la fin de la solidarité nationale, c’est à dire de la fraternité, au profit de l’économie et de la finance.
– Cela signifie, plus tard sans doute et en pente douce, la fin de la liberté.
Il faut mettre un point d’arrêt à ce processus, il faut dire non à la régionalisation et à son corollaire la décentralisation. Il faut dire non à l’éclatement de la Nation [5]. Il faut dire non à l’Union Européenne de Bruxelles et aux partis politiques qui la promeuve comme seule planche de salut des peuples. Il faut contrer leurs dérives anti démocratique et anti populaire [6].
Il faut pour cela reconstruire la République à partir de l’expression populaire.
Ce qui veut dire qu’il faut mettre en œuvre une assemblée constituante dégagée de toutes les emprises partisanes et de toutes les mains mises de ceux qui, vivant de la République et non pour elle, ont intérêt à ce que tout change pour que rien ne change.
Jean-Michel Parot, le 17 février 2016