Quelques réflexions après la démission de Nicolas Hulot

Quelques réflexions après la démission de Nicolas Hulot

Jeudi 20 septembre 2018, par Jean-Yves Leber, Tribune libre

La nomination de François de Rugy à la tête du Ministère de l’Ecologie et du Développement durable, rebaptisé en 2017 Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire après l’héritage d’une ESS dont on ne sait trop que faire, s’inscrit dans la continuité du traitement de la problématique environnementale inauguré par Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Borloo en 2007.

L’accélération de la crise écologique se poursuit, l’approfondissement des connaissances de ses mécanismes et conséquences redoutées aussi, et on continue à diriger le pays comme autrefois : fondamentalement, l’organisation de nos gouvernements a peu changé depuis le XIXème siècle.

Elle est conçue pour répondre en temps de paix aux défis de la concurrence entre les nations, se préparer aux occasions où elle s’exacerbe en conflit et les gérer, mais en aucun cas pour conduire l’ensemble des peuples de la planète confrontés à un même drame universel, l’extinction de masse du vivant qui se profile.

Le Président Emmanuel Macron, entouré de brillants énarques experts dans la science de ce pouvoir, ne cesse de nous vanter à juste raison les vertus de l’innovation ou de la disruption.

Pourtant, ils ne font que reproduire un schéma élaboré bien avant ce qui est devenu l’ancien monde dans le langage politique, devenu manifestement inadapté à cette situation totalement inédite.

De ce point de vue, le remaniement ministériel du 4 septembre, s’il faut nommer ainsi le communiqué laconique annonçant le remplacement des Ministres Nicolas Hulot et Laura Flessel, n’adresse en rien une problématique essentielle face à ces circonstances nouvelles : le défi organisationnel.

En effet, après plus de 10 ans d’expérimentation, l’outil que constitue ce Super Ministère n’a pas fait les preuves d’une efficacité et d’un pouvoir réel supérieurs à celle de ses prédécesseurs moins nantis, alors que l’urgence est toujours plus grande.

Il y a au fond quelque chose d’incompréhensible dans le fait qu’un Ministre de l’Environnement parvienne, il y a 20 ans, à empêcher le redémarrage de Superphenix à Creys-Malville, dans une France encore en plein fantasme nucléaire, alors qu’aucun de nos Super Ministres de l’après-Grenelle n’est parvenu à engager l’arrêt de Fessenheim.

De la même manière, la remise en cause récente de la Loi Littoral, qui assure une relative préservation de cet espace vulnérable, tant aux prédations humaines qu’aux assauts de mers et océans rendus plus violents sous l’effet du changement climatique, peut-elle être vue comme un marqueur inquiétant de la perte de pouvoir de ce Ministère sur un fondamental historique.

Par ailleurs, pour un Notre Dame des Landes abandonné, on trouvera de ruineuses -écologiquement et économiquement parlant- réalisations abouties, telles que le doublement de l’autoroute A9 et la gare de la Mogère à Montpellier, alors que le Grenelle de l’Environnement, il y a plus de 10 ans, était supposé en avoir scellé le sort.

De la même manière, son incapacité à renforcer sérieusement la prise en compte de l’incidence du bruit sur la santé publique, et on le sait mieux maintenant sur la biodiversité, 25 ans après l’établissement d’un cadre réglementaire, peut inquiéter sur sa capacité à prendre en compte la totalité des enjeux.

La liste des « échecs » établie par le désormais ancien Ministre d’Etat Nicolas Hulot lui-même sur des sujets tels que le glyphosate renforce encore ce sentiment : le Ministère de l’Ecologie ne fonctionne pas mieux au super qu’à l’ordinaire.

Relativement ingouvernable, au vu de sa consommation rapide de personnalités aux profils exceptionnels, il semble depuis 10 ans perdre relativement de la puissance alors que les enjeux que nous découvrons chaque jour sont plus immenses, et de mieux en mieux compris de tous.

Néanmoins, il serait inconcevable de ne pas avoir un Super Ministère de l’Environnement dans le cadre institutionnel de la 5ème République, ce qui nous amène à remettre le choix de ses attributions en perspective avec l’essentiel de sa mission : comment tenir notre promesse d’un monde vivable pour nous-mêmes et les générations futures.

Or, si l’on se place dans l’optique d’une réponse efficace à cette promesse, force est de constater que l’essentiel n’y est pas : transports et énergie, qui occupent une place prépondérante dans son exercice, animés avec vigueur par nos brillants corps des Mines et des Ponts et Chaussées, n’en sont pas les ingrédients fondamentaux.

Par exemple, même si nombre d’entre eux seraient affectés par la radioactivité en cas d’accident nucléaire, ce danger reste perçu comme trop éloigné pour que les Français qui n’ont pas les aéro-réfrigérants des centrales et leurs panaches de vapeur dans leur paysage s’en affolent.

Et quand bien-même, au demeurant, la force de l’habitude et le sentiment de prospérité que procure la vue de ces infrastructures l’emporte-t-il encore sur l’appréhension de ce risque non-assurable et l’offense à la qualité du paysage.

UN MINISTÈRE ETAT DE LA VIE ET DE L’ENVIRONNEMENT

La période qui s’annonce pour l’ensemble du règne vivant sur notre planète est périlleuse, la question de sa résilience est essentielle, et se trouve finalement assez bien exprimée dans une thématique de plus en présente dans le débat écologiste : santé et environnement, qu’il n’est plus possible de dissocier.

La piètre, quand elle n’est pas désastreuse, qualité de l’air extérieur et dans nos habitats, des eaux souterraines, des mers et des océans, des sols et de l’alimentation, ruinent nos santés, nos vies, et celles de l’ensemble des êtres vivants réunis sous le terme de biodiversité.

Cette évidence s’impose à nous, et il serait simplement rationnel qu’elle devienne le socle de la construction d’un grand Ministère d’Etat de la Vie et de l’environnement.
Par essence écologiste, celui-ci regrouperait Santé et Solidarité, Agriculture et Alimentation, en y ajoutant urbanisation, habitat et cadre de vie, environnement et biodiversité.

Les Français, plus que jamais, sont convaincus de l’utilité de l’écologie, et sidérés devant l’ampleur du désastre annoncé : il est urgent de leur offrir ses bienfaits dans ce qu’il y a de plus proche d’eux, d’intime, leur santé qu’ils savent menacée, l’actualité leur donnant mille raisons de s’inquiéter, et le cadre de vie dans lequel ils évoluent quotidiennement.

A défaut, ils seront incapables physiquement et moralement de faire face aux enjeux de notre entrée fracassante dans le dur de l’anthropocène.

UN MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE LA RÉSILIENCE

L’énergie, les transports, et l’industrie, les infrastructures, et l’économie en général, qui portent des enjeux à la fois écologiques, de prospérité, et de compétitivité, pourraient être regroupés sous un Ministère du Développement Durable.

Les contours de cette notion sont désormais clairs et servent déjà de cadre conditionnel à l’accompagnement international des nations les moins biens nanties en termes de PIB, et IDH ou IDHI.

A cet égard, le bon sens commanderait d’accepter pour nous-mêmes ce que nous imposons de bénéfique, à l’instigation des Nations Unies du regretté Koffi Annan, depuis près de 20 ans, aux plus pauvres.

Certains spécialistes de la finance durable des pays les mieux dotés sur le plan économique évoquent d’ailleurs l’idée d’appuyer la formulation des critères ISR-ESG sur les critères des ODD bien connus des bailleurs de fonds publics internationaux qui leur fournissent souvent l’effet de levier.

Il est essentiel que nos pouvoirs publics soient en mesure de faire les arbitrages entre la vie et ce qui l’affecte du fait des activités humaines, dialectique infiniment plus productive d’avenir que l’opposition du capital et du travail.

Quant à l’indispensable résilience, l’agonie du Signal de Soulac sur sa dune rongée par l’océan, symbole éclatant de la brillante MIACA de 1973, nous dit à quel point nos infrastructures les plus performantes, notre capital d’hier et d’aujourd’hui, seront menacées demain.

UN MINISTÈRE DE LA COOPÉRATION NATIONALE, EUROPÉENNE, ET INTERNATIONALE

En France, rien de ceci ne peut s’harmoniser sans une prise en compte de la nouvelle réalité des territoires qui la composent : nos nouvelles régions sont des euro-régions, et nos métropoles deviennent des capitales européennes.

Tous ces territoires commencent leur émergence individuelle, de manière de plus en plus autonome, sur tous les plans, incités en cela par l’administration européenne.
Il n’est de ce fait plus possible de concevoir la diplomatie nationale sans les y associer étroitement, les affaires étrangères devenant ici l’affaire de tous.

Pour en tenir compte, le regroupement du Ministère des Affaires Etrangères et Européennes avec le Ministère de la Cohésion des Territoires s’impose, dans une approche participative d’écriture du nouveau récit national d’une France décentralisée.

A défaut, notre Etat si parisien ne manquera pas d’être débordé par des territoires lassés de ne plus pouvoir compter sur la redistribution de l’impôt, et des voisins européens moins jacobins et plus en phase avec les réalités du XXIème siècle.

Depuis la Loi NOTRE en 2015, la France se désintègre, et les grandes régions sont conduites inexorablement à viser l’intégration dans l’économie mondiale en ne se préoccupant plus de Paris, et pas assez de l’Europe alors que cette dernière est leur véritable berceau.

Or, dans sa configuration actuelle, l’Etat français est plus un obstacle à leur intégration désirable dans l’Europe, qu’un moteur : l’hégémonisme de la Capitale est dissonant dans le cadre d’une décentralisation inaboutie, et alimente les tentations souverainistes.

Paris gagnerait tout à se positionner et s’organiser clairement en plateforme de facilitation de la coopération entre les territoires de Métropole et d’Outre-Mer dont il reste Capitale nationale, et ceux des autres nations d’une Europe fédéraliste où il peine de plus en plus à s’imposer, et au-delà ceux de l’espace francophone et du reste du monde.

En outre, le français, la culture française comme l’ensemble des cultures qui s’en sont imprégnées au fil de l’histoire, forment un ciment précieux, largement partagé, à l’aide duquel peut se renforcer avec la globalisation de la connaissance au travers de l’internet, la résilience planétaire face au changement de notre environnement.

UN MINISTÈRE DE LA DÉFENSE ET DE LA COORDINATION EUROPÉENNE POUR LE MAINTIEN DE LA PAIX

Dans ce cadre gouvernemental rénové, à la fois plus robuste pour la France, coopérative plutôt qu’impérialiste, et plus lisible pour nos partenaires internationaux, en particulier européens, nos armées, engagées sur des opérations extérieures à leurs côtés, pourraient se positionner naturellement comme les promoteurs d’une défense européenne mieux intégrée.

Cette intégration est devenue impérative, en particulier pour tenir compte de la nécessité absolue d’atteindre une taille critique suffisante pour que l’Europe puisse devenir un véritable acteur de la paix dans une géopolitique en pleine recomposition.

D’autre part, il est urgent d’en rendre le coût soutenable par la coordination et l’optimisation des charges, faute de quoi nous ne serons bientôt plus en mesure de tenir notre place dans le concert de nations dont les plus immédiatement exposées et vulnérables aux conséquences du changement climatique sont aussi les plus fragiles.

La plupart des conflits du XXIème siècle y trouvent désormais leur origine, la tendance n’est pas près de s’inverser, et le monde aura besoin de vecteurs de paix puissants à opposer à la montée de cette violence globale.

UN GOUVERNEMENT COMME D’HABITUDE

Compte tenu du caractère utopique de cette transformation organisationnelle, pourtant indispensable, qui pourrait porter principalement sur la composition de ces quatre portefeuilles, il n’est pas indispensable à ce stade de pousser l’analyse jusqu’aux autres ministères.

Après l’élection présidentielle de 2017, les citoyens français espéraient de notre jeune Président Emmanuel Macron, ouvertement ou secrètement, une approche innovante, disruptive, du gouvernement.

Or, force est de constater que sur le plan de l’organisation du pouvoir, il ne fait que marcher dans les pas de ses prédécesseurs alors que la contrainte écologique impose un profond changement de logiciel.

Le discours d’investiture de François de Rugy était éloquent : il s’inscrit dans une continuité, et se heurtera donc aux mêmes difficultés que Nicolas Hulot et ses prédécesseurs face aux exigences de productivistes encore tout-puissants.

L’approche de la destruction créatrice prônée par ces derniers aboutit inéluctablement à notre extinction, et la volatilité brutale de notre climat ne permettant plus d’imaginer restaurer celui des affaires des trente glorieuses.

Il n’y a donc guère d’autre option que de leur opposer dorénavant le choix entre la bourse et la vie, ce qui deviendrait possible si ces quatre grands ministères formaient la charnière du gouvernement.

A cet égard, le Ministre François de Rugy est pardonné par avance s‘il échoue, malgré toute les qualités qu’on lui connaît, là où aucun des Ministres de l’Environnement de l’après Grenelle n’a pleinement réussi.

En effet, il n’y a aucune raison que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets : un dirigeant n’obtiendra jamais de résultats satisfaisants si son organisation est mal adaptée au contexte auquel elle est confrontée.

De ce point de vue, malheureusement, le gouvernement français, qui se voudrait exemplaire au sein de la gouvernance climatique mondiale, nous engage dans une autre campagne de Russie, perdue d’avance, si la composante organisationnelle de sa stratégie n’évolue pas rapidement.

Et pendant que nos institutions conservent ces habitudes héritées d’un temps où on ne doutait pas que le socle de notre prospérité qu’était le climat tempéré de la France le resterait à jamais, privilège que nos enfants et leurs enfants ne connaîtront pas, la Terre entière brûle et la vie l’abandonne.

Montpellier, le 8 septembre 2018