Syndicats phagocytés
Vendredi 29 mai 2009, par
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En quatre arrêts, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a légitimé le dumping social dans le Marché commun [1]. Dans l’affaire Viking, jugée le 11 décembre 2007, une compagnie finlandaise réimmatricule un ferry en Estonie afin d’échapper à une convention collective finlandaise qui fixe les salaires des marins. La CJCE a donné tort aux syndicats qui s’opposaient à une manœuvre destinée à casser les salaires.
Dans l’affaire Laval, jugée le 18 décembre 2007, un syndicat suédois avait tenté, en organisant le blocus des chantiers de l’entreprise en Suède, de contraindre un prestataire de services letton à signer une convention collective comme c’est l’usage dans ce pays. Il s’agissait de fixer les rémunérations des ouvriers. La CJCE a donné raison à des entreprises qui se plaignaient d’une atteinte à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services, droits reconnus par les articles 43 et 49 du traité de Rome.
Dans l’affaire Rüffert, jugée le 3 avril 2008, la CJCE a condamné le Land de Basse-Saxe pour entrave à la liberté d’établissement d’une entreprise polonaise. Cette dernière versait des rémunérations inférieures au salaire minimum s’imposant à toute société de construction obtenant un marché public. La CJCE a estimé la législation excessive. Elle considère que la directive 96/71 sur le détachement des travailleurs n’établit que des minima que les Etats membres ne sauraient outrepasser sous peine d’entraver la libre concurrence.
Dans l’affaire Commission contre Luxembourg, jugée le 19 juin 2008, la CJCE a donné raison à la Commission européenne, qui reprochait au Luxembourg d’avoir transcrit la directive de 1996 de manière trop restrictive en droit luxembourgeois. Saisie par la Commission européenne, gendarme du Marché commun, la Cour a qualifié de « superfétatoires » les conditions mises par le Luxembourg à l’activité de prestataires de services étrangers dans le Grand-Duché. Il s’agissait, entre autres, de l’indexation des salaires sur le coût de la vie et d’informations à fournir à l’inspection du travail dont la Cour n’a pas vu l’utilité.
Les hauts magistrats ont, à plusieurs reprises, qualifié la liberté d’établissement et la libre prestation de services de « libertés fondamentales » reconnues par le traité de Rome, établissant clairement une hiérarchie entre les droits des entreprises et les normes sociales, les premières l’emportant sur les secondes. Si la CJCE concède que l’action syndicale constitue un « droit fondamental » – ce qui est un progrès dans le désert social européen –, elle le vide immédiatement de sa substance en le soumettant à l’obligation de ne pas « entraver » la liberté d’établissement (article 43 du traité de Rome) et la libre prestation de services (article 49) des entreprises dans le Marché commun.
Dans le langage ampoulé des juges de Luxembourg, la défense du salaire minimal est ainsi incompatible avec le droit européen si elle est « susceptible de rendre moins attrayant[es], voire plus difficiles » les conditions faites à des entreprises d’un autre Etat membre. Elle s’inquiète en outre de ce que la négociation collective crée une « incertitude juridique » excessive (arrêt Laval). Dans l’arrêt Viking, elle considère comme « disproportionnée » la grève des salariés qui refusaient le transfert de pavillon de leur bateau de Finlande vers l’Estonie, où les salaires sont plus bas. Ces arrêts pourraient n’être que les premiers d’une longue série [2]...