Beaucoup de bruit autour des assistants parlementaires
Jeudi 5 décembre 2024, par
Dix ans après celle de 2017, la présidentielle de 2027 va-t-elle, elle aussi, être perturbée par une affaire d’assistants parlementaires ? Le chaos autour des motions de censure ferait presque oublier ces questions encore à la une il y a quelques jours.
Jusqu’alors les débats en la matière étaient assez classiques, tournant autour de détournement de bien public pour les uns, d’excès de pouvoir des juges pour les autres. S’il nous parait utile d’y revenir, c’est qu’il est temps de faire le point sur l’état de la démocratie.
Voilà longtemps que nous dénonçons la dérive antidémocratique de la vie politique nationale et, encore plus, européenne. La mise en avant des questions d’assistants parlementaires n’exprime-t-elle pas finalement la volonté de donner un vernis moral à une catastrophe démocratique ?
C’est pourquoi, dans le brouhaha des motions de censure, il nous a paru utile de dire au moins de quoi il s’agit et quelles sont les règles utilisées. Sait-on toujours qui sont les assistants parlementaires ? A quoi sont-ils censé servir ? De qui dépendent-ils et qui les contrôle ?
Au travers de ces interrogations tant juridiques qu’institutionnelles émerge naturellement la question de la démocratie représentative. Les représentants du peuple représentent-ils encore le peuple ? Qu’est-ce que la démocratie en France alors que le droit européen prime sur le droit national (voir https://www.pouruneconstituante.fr/spip.php?article2250 ) ?
Les assistants parlementaires
Selon le site de l’Assemblée nationale, « La création de la fonction d’assistant parlementaire (ou de collaborateur de député) remonte à 1975. Elle constitue, d’une certaine manière, l’aboutissement d’un long processus répondant aux souhaits des députés de disposer, à côté de leur indemnité parlementaire, de moyens humains et matériels leur permettant de faire face aux diverses charges de leur mandat et venant renforcer ceux qui avaient déjà été accordés collectivement aux groupes politiques et complémentaires de ceux fournis par l’administration ».
Dans les années 1980, le lien entre les députés et leurs groupes parlementaires était tel que le groupe socialiste dont j’étais membre prélevait sur chaque député une part de contrat d’assistant. Ainsi un assistant du député X, lié à celui-ci par contrat, pouvait-il être au service du groupe politique sans que X le connaisse réellement.
La question des assistants parlementaires semblait alors assez consensuelle. Ainsi Laurent Fabius, Président de l’Assemblée nationale, avait créé un troisième poste d’assistant pour les députés. Marie-Françoise Clergeau, ancienne questeure de l’Assemblée nationale, dans un article du Monde du 10 avril 2018, explique de son côté : « On aurait grand tort de croire qu’il s’agit là d’une question subalterne pour la démocratie. Accorder davantage de moyens aux collaborateurs, c’est doter les parlementaires eux-mêmes de davantage de pouvoirs. A une époque où il est malheureusement question de réduire significativement le nombre de députés et de sénateurs, la revalorisation du poids des équipes politiques de nos représentants est politiquement existentielle en termes de souveraineté, de dignité et d’exemplarité parlementaires ».
Si Marie-Françoise Clergeau a raison d’insister sur les besoins de souveraineté, de dignité et d’exemplarité parlementaires, elle ne définit pas qui est le porteur de ces vertus. Qu’est-ce que les « équipes politiques » ? S’agit-il de l’élu isolé ou du membre d’un groupe parlementaire et d’un parti ? Dans la démocratie dite moderne, la personnalité de l’élu s’estompe au bénéfice de son parti. Qui juge alors, et comment, du travail de l’assistant parlementaire ? Le parti ? L’élu ? L’électeur ? Juger les parlementaires, sans évoquer le fonctionnement global des institutions, sans mettre en cause les partis politiques, est alors hors sol.
Ensuite, comment se définit le travail du parlementaire ? Si le travail à l’Assemblée même porte sur l’examen des projets de lois, le travail en commission, les interventions éventuelles en séance, la participation aux groupes politiques, ce n’est pas le cas des rapports avec les électeurs, qu’il s’agisse des conséquences des lois ou des difficultés quotidiennes. En l’excluant, le parlementaire devient un agent du Parlement alors qu’il tient sa légitimité des électeurs. Ainsi s’alimente la fracture entre élus et citoyens.
Les partis
Le rôle et la place des partis est évoqué dans l’article 4 de la Constitution qui dispose que : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement ».
L’expression politique est le produit des partis politiques et les parlementaires tiennent en général plus leurs mandats de l’appartenance à un parti qu’à leurs qualités personnelles. Si, comme le dit Marie-Françoise Clergeau, les moyens en collaborateurs renforcent le pouvoir des parlementaires, peut-on ignorer que ce pouvoir vient de leur organisation politique ? Les lois sur les financements des partis politiques et les règles quant aux moyens donnés aux parlementaires renforcent l’emprise des partis, et, de ce fait, le pouvoir des principaux dirigeants politiques sur les élus. La question de la démocratie émerge à l’évidence de cet état de fait, sur le plan national ou européen car là encore se pose la question du lien entre citoyens et représentants.
Néanmoins les partis font-ils vivre la démocratie avec tout ce que cela implique de contradictions et de débats ou perpétuent-ils une organisation nationale ou européenne dans laquelle les peuples sont des lobbies et pas les souverains ?
L’élu et ses assistants sont alors des agents d’une institution et non l’incarnation d’un mandat donné par les électeurs. Les moyens donnés aux élus leur permettent, certes, de participer aux travaux de leurs assemblées respectives, mais n’aboutissent-ils pas à éloigner ces représentants de ceux qu’ils sont censés représenter ?
Dans ce cadre, les débats judicaires autour de l’utilisation des moyens offerts aux parlementaires ne participent-ils pas à un contrôle contestable de l’action politique directement lié à cette institutionnalisation ? L’appel aux lois Sapin, essentiellement destinées à lutter contre la corruption dans les entreprises doit-elle banaliser les interventions dans les organes du pouvoir législatif ? Car les procès contre les parlementaires sont fait sous l’inculpation de détournement de biens publics. François Bayrou a raison de demander que soit précisé ce dont il s’agit. Rappelons donc que le délit de détournement de fonds publics désigne le fait qu’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public détruit, détourne ou soustrait un acte ou un titre ou des fonds publics. C’est par exemple le cas des maires, disposant de l’autorité publique, mais pas celui des parlementaires. Les assistants sont mis à leur disposition par les assemblées dont ils sont membres et il appartient à ces assemblées d’en vérifier l’usage si besoin. Il en était du moins ainsi jusqu’à ce que la Cour de cassation décide en 2018, soit un an après l’affaire Fillon (déjà la question des assistants), que les parlementaires avaient une mission de service public. L’important développement, depuis lors, de l’interventions des juges ne se fait-il pas au détriment du contrôle par les institutions parlementaires elles-mêmes qui pourraient faire des audits sur l’utilisation des moyens qu’elles offrent à leurs membres ?
Où est passée la vie politique ?
L’évolution du droit soumet le pouvoir des parlementaires au contrôle judiciaire, remettant ainsi en cause la séparation des pouvoirs. Lorsque cette évolution est faite sous les auspices des institutions européennes qui rognent largement sur les restes de la souveraineté nationale, que reste-t-il de la démocratie ? Que reste-t-il même de la politique au sens d’Aristote ? La chose est d’autant plus grave lorsque cette restriction du pouvoir législatif est faite avec l’approbation du Parlement comme l’a montré l’attitude de Claude Bartolone, Président de l’Assemblée nationale lors de l’affaire Fillon. Comme le dit Jean-Pierre Chevènement, interviewé par le Figaro le 26 novembre 2024, « La pénalisation à outrance de la vie publique est un aspect de ce qu’on appelle le gouvernement des juges ».
Il est nécessaire de trouver un équilibre entre une vie politique proche des citoyens et le contrôle des actions des parlementaires. Ce dernier ne saurait accentuer le fossé entre électeurs et élus. Il appartient aux citoyens, en démocratie, de juger leurs parlementaires et leur vote doit rester le juge essentiel pour ce qui concerne leurs activités en tant qu’élus.
Il faut reconnaitre au développement des affaires autour des assistants parlementaires l’avantage de pouvoir créer un débat national sur la place et le rôle des élus. Encore faut-il qu’il n’aboutisse pas à l’empêcher.