Election des constituants. Il est interdit d'interdire ….

Election des constituants. Il est interdit d’interdire ….

Jeudi 20 novembre 2014, par Pascal Geiger

Dans le cadre de notre réflexion sur le mode d’élection des constituants, Pascal Geiger nous donne ci-dessous ces réflexions.

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Il est interdit d’interdire ….

Proposer un « mode d’emploi » pour organiser une Constituante n’est pas un exercice facile. Le respect des principes démocratiques et républicains est une condition nécessaire mais malheureusement pas suffisante. D’autres vertus, d’autres capacités semblent indispensables.

Définir qui et selon quelles modalités a la possibilité ou non de se présenter comme constituant peut aisément rendre schizophrène le plus honnête des citoyens. Car, écarter les figures les plus emblématiques – élus, hauts fonctionnaires, membres du CAC 40, … - frise le précipice de l’épuration. Mais ne pas les contenir au risque de les voir phagocyter la Constituante relève d’une naïveté sinon coupable du moins condamnable.

Pour autant, comme tous les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, il parait donc difficile d’en exclure certains sous prétexte de distinctions sociales dès lors que celles-ci étaient censées œuvrer au bien commun.

Mais là n’est pas la plus saillante des difficultés.

Une fois élus, les Constituants auront à débattre du contenu de la future Constitution avant de la soumettre au peuple souverain. Or, sur quelle base et pour quelle ambition mèneront-ils ce débat ? De quel matériau commun disposeront-ils pour approfondir leurs réflexions et structurer leurs idées ? Comment leur éviter de tomber dans des débats stériles portés par des querelles partisanes qui n’auront d’ambition que de faire le jeu de leurs initiateurs ?

Certes, il faut faire confiance à l’intelligence de l’Homme et en sa capacité à construire un tel bien commun. Il ne serait pas inutile, cependant, de fournir aux futurs constituants une boussole leur permettant d’une part de mieux cadrer leurs opinions, et d’autre part, d’organiser de manière plus structurante leurs débats.

… mais, il est permis de chercher sous les pavés, la plage ...

C’est pourquoi, il serait essentiel de mener, en parallèle de la démarche visant à définir les modalités d’accès à l’élection de la Constituante, QUATRE travaux cardinaux constitutifs de cette boussole.

Le 1er travail à produire relèverait du droit d’inventaire de la Vème République.

Il s’agirait, ici, de réaliser une analyse « objective » des vertus et des vices de la Vème République. Elle consisterait à éclairer les futurs constituants sur plusieurs points :

- notamment sur les raisons qui ont permis et permettent encore à une minorité d’acteurs de s’emparer de l’ensemble des leviers du pouvoir créant de fait un système électif censitaire annihilant toute possibilité de renouvellement de la classe politique,

- sur les raisons tant exogènes (le rôle des média, l’absence de contre-pouvoir efficace, l’existence de mécanismes de gouvernance particuliers – la formation des cadres de l’administration -, … par exemple) ou endogènes (les raisons d’un manque d’appétence pour la chose publique, des difficultés de s’y retrouver dans les explications politiques et journalistiques, ...) qui ont poussé le peuple à ne pas avoir su, pu ou voulu réagir autrement que par l’abstention, le choix (stérile) de l’alternance, le choix des extrêmes, …..

L’objet de ce travail serait d’éviter à la fois de passer par pertes et profits certains éléments structurants et, somme toute, pertinents de la Vème République et de voir resurgir des vielles lunes institutionnelles.

Le 2ème consisterait en une analyse des productions réalisées par de récentes Constituantes.

Il s’agirait, ici, de réaliser un travail révélant comment d’autres pays s’y sont pris pour former une Constituante, quelle a été la production de ces instances et en quoi ces productions étaient-elles adaptées à la culture, à l’histoire et à l’ambition affichée par ces différents pays.

Ce benchmark international n’aurait pas pour objet de transposer (dans la future Constitution française) des éléments constitutionnels - de quelque pays que ce soit - aussi pertinents seraient-ils, mais bien de discerner et comprendre certains mécanismes de construction qui pourraient, eux, le cas échéant être modélisables au regard de la culture et de l’histoire de la France.

Si la future Constitution française doit rester une histoire franco-française, pour autant elle peut s’inspirer pour consolider ses fondements et structurer ses processus de l’intelligence collective de peuples souverains.

Le 3ème porterait sur les valeurs que la future Constitution entérinerait par son préambule.

Il s’agirait, ici, d’inciter les futurs constituants à réfléchir sur la nature et la qualité des principes et des droits qui fonderont la nouvelle République.
En 1946, les constituants ont souhaité actualiser (tout en la réaffirmant solennellement) la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en la dotant de principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à leur temps.

En 1958, les constituants étaient plus soucieux de construire un régime politique efficace et se sont attachés à restaurer l’autorité de l’Etat et du gouvernement.

Demain, quelle sera la vision de la France que souhaiteront proposer les futurs constituants ?

Plaideront-ils pour une République défendant les valeurs néo-libérales dont les principes subordonneront l’Etat aux Entreprises Transnationales ?

Réaffirmeront-ils l’impératif catégorique de Kant et poseront-ils l’attachement de la future Constitution à des principes tels que ceux évoqués par la déclaration de Philadelphie, subordonnant ainsi toute logique économique au respect et à la protection des Hommes et de leur environnement ?

Ce dernier choix provoquera sans aucun doute, toute chose étant égale par ailleurs, la même stupéfaction dans l’esprit des autres peuples que celle initiée en 1789 par Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Mais après tout, comme aurait pu le dire Louis XVI, n’est-ce pas dans le caractère français que de remettre de temps en temps les pendules à l’heure.

Si un tel choix était fait, alors le 4ème travail à produire serait d’éclairer les constituants sur les conséquences inéluctables qu’il produirait, notamment sur la dénonciation par la France de certains accords et traités internationaux élaborés par des entités non élues démocratiquement. Accords et traités qui auto-asservissent le peuple à des lois économiques sur lesquelles il ne peut agir.

…une plage à partir de laquelle des horizons nouveaux peuvent être envisagés.

Comme beaucoup (j’espère), je ne crois plus en la possibilité de changer radicalement les choses au sein et à partir des institutions politiques traditionnelles.

Je n’ai jamais cru, non plus, à la révolution salvatrice, au grand soir. Les révolutions ont ceci de particulièrement évident : elles opèrent toujours un retour sur les origines de leur émergence.

Il me parait nécessaire de changer de paradigme, comme l’ont fait les pères de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Cependant, certaines de leurs idées portaient en germe les dérives des idéaux qu’ils proclamaient. C’est pourquoi, il me semble nécessaire non de donner une feuille de route établie aux futurs constituants, mais de la matière leur permettant de se poser les bonnes questions.

C’est par ces travaux préparatoires, me semble-t-il, que l’on évitera d’exclure telle ou telle catégorie de citoyens à l’élection des constituants.
Pour conclure, j’aimerai citer un propos tenu par Tony Benn, dernier des grands socialistes britanniques, lors de son discours d’adieu au Parlement en 2001.

« Au fil des ans, j’ai mis au point cinq questions démocratiques – à poser à une personne influente - :

- de quel pouvoir êtes-vous investi ?

- Par qui ?

- Dans quel intérêt l’exercez-vous ?

- Et comment faire pour se débarrasser de vous ?

S’il n’est pas possible de se débarrasser de ceux qui nous gouvernent, c’est qu’il ne s’agit pas d’un régime démocratique. »

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