De la raison d'Etat

De la raison d’Etat

Dimanche 5 août 2018, par Noura Mebtouche, Tribune libre

La raison d’Etat devrait être érigée en principe fondamental des lois de la République. Cela permettrait enfin de définir de manière claire et précise ce principe qui n’est pas toujours clair.

Mettre ainsi ce concept dans le débat public permettrait de faire largement avancer notre conception collective de la République en train de naître.

Extrait de « Pour une nouvelle théorie de l’Etat  » par Noura Mebtouche.

- Premier temps : définir la Raison d’Etat.

On pourrait le définir ainsi et l’ajouter au bloc constitutionnel qui depuis 1971, contient le préambule.

"La Raison d’Etat est une valeur rédigée sous forme de principe général du droit au titre de principe fondamental du droit connu par les lois de la République (PFLR). Il se définit en référence à l’histoire de l’Etat français et au droit coutumier.".

Il convient de distinguer la Raison d’Etat avec un R et la raison d’Etat avec un petit r. La première découle naturellement de la seconde ; elle s’en inspire.

Ce n’est qu’au XVIII ème siècle avec la philosophie des Lumières que se développe le principe de raison en lien direct avec les droits de l’individu ? Montesquieu en est largement responsable avec ses développements sur la séparation des pouvoirs, citons également Voltaire et son combat pour si ce n’est déjà une forme de laïcité une certaine forme de tolérance.

Avec ses contes philosophiques dont notamment Candide ce dernier développe une forme de Raison qui complète très bien celle définie par Descartes dans le Cogito Ergo Sum « je pense donc je suis », il lui donne des limites et un cadre de réflexion qui limite cette dernière au droit de chacun à la liberté et à l’égalité. Ainsi Candide doté de la raison de celui qui est neutre nous montre-il avec une conviction qui est inébranlable puisque animée par la pure raison les contradictions de notre siècle.

C’est de cette raison-là, non pas celle du plus fort mais celle de l’homme éclairé héritier du gentilhomme de la renaissance, qu’est animé ce projet de constitution.

Ainsi, l’intégralité de la première partie de ce projet est consacré à l’individu à lui seul et à ses droits. Il ouvre la porte à une nouvelle conception de la nature de l’Etat dont le rôle numéro 1 est de protéger les individus qui évoluent sur le sol dont il est responsable.

Les encyclopédistes du XVIIIème siècle dont Diderot fait partie sont intervenus avec leurs écrits et leurs combats après le siècle de Louis XIV où est définie une autre raison d’Etat.

Cette dernière liée aux événements (on pense notamment à la Fronde et à la nécessité de restaurer la Monarchie et l’intégrité du territoire) politiques de l‘époque a permis de jeter les bases d’un Etat fort, elle sera reprise, liée aux troubles politiques qui menacent l’intégrité de la République après la révolution française par Napoléon Bonaparte.

De cette raison d’Etat là qui est principalement liée à Richelieu et dont une institution fameuse : l’actuel conseil d’Etat est le garant, toute l’administration de l’Etat et sa pérennité est assuré par lui en tant que conseiller, aujourd’hui instance jurisprudentielle qui inspire les actes de l’administration et les régit ou encore protecteur et promoteur de la fonction publique, des attributions qui ont permis d’assurer la continuation à long terme de l’Etat français.

Il est, désormais que plusieurs siècles ont réussi à construire l’Etat et sa pérennité (le Roy est mort vive le Roy étant un adage plus que jamais vivace et efficient), temps à l’épreuve de notre histoire et des erreurs ou tâtonnements du passé, d’évoluer davantage vers une conception de l’Etat fort mais qui ouvre cependant la porte à l’évolution sociale et à la modernité. Au temps de Louis XIV, la raison d’Etat n’ouvre presque pas la porte à la mobilité sociale et se soucie peu, lorsqu’il s’agit de la lettre de cachet ou encore de l’octroi arbitraire de pensions des droits de l’individu. L’Etat, qui est resté jusque là confiné à la structure d’Etat et à ses institutions est quelque peu décalé par rapport à sa réalité qui n’est autre que le peuple. Nous amorçons ici une première définition moderne et démocratique de l’Etat : ce dernier est l’armature, l’instrument dont se sert le peuple, la Nation pour exister et faire valoir ses droits.

Pour cela, l’Etat a besoin d’instruments : cet instrument est le droit. Ce projet de Constitution vise donc à instituer définitivement le rôle et la nature de la France en tant qu’Etat de droit.

IL complète les principes premiers qui principalement pendant quatre siècles : le XVIIème, le XVIIIème, le XIX ème puis le XXème (avec le Général de Gaulle), ont conduit à faire émerger un Etat fort dont le pouvoir n’est pas remis en cause et donc à faire exister l’Etat français.

Nous réagirons donc en deux temps.

- Premier temps : le temps de la construction.

Avant Louis XIV : ce qui existe c’est le Royaume avant tout. Une affaire de famille, même si de nombreux monarques ont contribué eux aussi à la construction étatique et à sa mise en valeur dans l’échiquier des grandes puissances. (voir notamment guerres contre Charles Quint).

C’est sous Louis XIV que l’Etat français prend justement forme. Il s’agglutine alors autour de la prédominance d’une seule personne « l’Etat c’est moi », conception monarchiste de l’Etat dont nous aurons beaucoup de mal à nous débarrasser notamment avec la mise en place progressive d’un régime de nature présidentielle dès 1962.

- Néanmoins, les grands principes qui régissent la Raison d’Etat se construisent. Ils tiennent à différents paramètres :

- L’intégrité du territoire.

- La souveraineté de l’Etat dans les relations internationales.

- La légitimité du pouvoir : cette dernière passe d’un socle fondé sur la légitimité de droit divin à un socle reposant sur la légitimité tirée de l’élection démocratique. C’est la loi du suffrage. Pour renforcer cette légitimité les précautions prises sont nombreuses : elles tiennent notamment de plus en plus à l’incorruptibilité des candidats.

- La défense nationale.

- La primauté des intérêts économiques de la France dans l’échiquier mondial.

- Le secret d’Etat. Ce dernier porte à discussion. Le secret d’Etat a en effet et est encore le prétexte à de nombreux abus qui fondent parfois l’exercice du monopole de la coercition légitime que seul possède l’Etat à mauvais escient, c’est-à-dire contre les droits des individus. Or, l’évolution des temps et la nécessité d’aller vers une politique plus civilisationnelle, plus coopérative en interne comme en externe nécessite davantage de transparence , elle nécessite aussi que le droit évolue afin d’avancer encore davantage vers la protection des individus envers des prises de pouvoir personnelles ou défendant des intérêts qui ne sont pas ceux de la Nation (Entendu ici comme l’ensemble des individus concernés conformément à la définition de Ernest Renan), mais ceux d’un ensemble disparate d’individus unis par des intérêts communs qui sont autres que l’intérêt général.

Cette confusion entre la Raison d’Etat et la Raison du plus fort est dommageable pour la République qui ne demande qu’à s’extraire de ce magma boueux où l’ont enfoncé les politiques menées en dehors du peuple. C’est pourquoi la deuxième phase d’élaboration de la définition de la Raison d’Etat que nous esquissons ici est importante.

Ainsi, pour donner un exemple, c’est au nom de la Raison d’Etat que le principe de laïcité doit être renforcé, et encore au nom de cette dernière que le principe d’égalité entre citoyens doit jouer à plein et susciter des lois qui obligent par exemple l’Alsace à subir les même lois en la matière que les autres régions même si cela peut nous obliger à porter un regard sur ce droit spécifique d’où l’on peut retirer de nouvelles idées.

L’objectif ici n’est ni plus ni moins que de remédier au décalage entre l’Etat et l’individu afin que l’Etat puisse « prendre corps » autrement dit « faire corps ». L’Etat doit devenir le corps de la Nation, formé du corps de la multitude d’individus qui composent la Nation, tous liés par des formes d’identités communes au-delà des disparités.

L’instrument que nous devons utiliser pour cela, est le droit, ce n’est pas le monopole de la coercition légitime, qui doit rester l’exception.

Enfin pour faire de la société un tout cohérent il convient de faire la même chose avec la chose économique, celle ci doit « faire corps » avec le social et les institutions qui les régulent, c’est le réencastrement (Karl Polanyi « la grande transformation » 1944).

- Deuxième temps : le temps de la civilisation.

L’Etat « prend corps ».

Le corps est important dans cette Constitution, cette dernière, fidèle au programme du Conseil National de la résistance de 1945 donne toute son importance au matériel et cherche à ne pas reposer uniquement sur des grands principes voués à le rester et à être projetés en tant que symboles dans les discours ou les commémorations. « Faire corps » cela veut dire avoir un système économique et entreprenarial qui donne toute sa place à la participation, comme a voulu le mettre en place le Général de Gaulle lors du référendum de 1969, c’est aussi donner toute sa place à l’environnement et aux petites entreprises non polluantes (y compris agricoles ) dans notre tissu économique, mais également combler le « désert français » du nom du fameux livre « Paris e le désert français », Jean-François Gravier, 1947, en donnant toute leur place aux politiques publiques qui visent à développer les territoires ruraux et à les faire fonctionner en harmonie avec les territoires plus urbanisés, c’est enfin donner toute sa place à chaque individu dans ses choix et son libre arbitre en se donnant concrètement les moyens de le faire grâce au revenu inconditionnel d’existence qui est valable pour chacun (Voir notre ouvrage RIE, budget et fiscalité).

Il y ici mis en avant une conception matérialiste du fonctionnement de la République française à laquelle nous avons échappé jusqu’ici pour des raisons culturelles judéo-chrétiennes mais aussi parce que notre classe politique de gauche, a fait l’erreur à un moment de son histoire d’embrasser les représentants d’une conception faussée et tronquée de l’interprétation de Karl Marx.

Quant à la raison d’Etat nous voudrions insister davantage sur le soubassement philosophique de cette dernière : là où Descartes se contentait de penser sans réfléchir et sans réelle consistance, d’autres philosophes ont su voir que derrière la pensée suivait directement l’action. Ils sont malheureusement tombés trop facilement à la trappe de par la brutalité des phénomènes d’accaparation du pouvoir par telle ou telle faction défendant des intérêts de caste, de classe ou encore d’intérêts privés.

Nous avons évoqué les philosophes des Lumières trop vite abandonnés par le Régime de la Terreur sous une révolution dont ils sont pourtant, en dehors de la faim à proprement parler les principaux inspirateurs. Un autre philosophe a su avec talent définir ce principe, il s’agit d’Emmanuel Kant.

En tant que sociologue, Raymond Aron a analysé les antécédents psychologiques de la rationalité économique et de sa prédominance dans le champ du social. Cette dernière est tellement forte et inséparable d’une vision libertaire de l’individu et non liberticide (dans le sens où elle est au fond le seul paravent véritable contre les régimes populistes et la privation des libertés) qu’elle mérite que l’on s’y attarde et que l’on relise Adam Smith sous un autre angle que celui de la croissance économique à proprement parler sous l’éclairage justement de encore une fois le fameux Karl Marx. Ceci peut sembler absurde tant les deux théoriciens de l’économie ont été placés en opposition comme tous les deux représentatifs de notre principal clivage politique celui entre la gauche et la droite, mais pourtant, dans une société développée ils ne peuvent qu’être rapprochés et placés côte à côte comme interprètes de deux réalités qui ne doivent faire qu’une pour justement « faire corps avec l’Etat ».

Dans ce cadre Emmanuel Kant et sa « critique de la Raison pure » (1781) apparaît non pas comme un donneur de leçon mais comme un cuisinier qui donne des recettes qui si on les suit, marchent à tous les coups et produisent des chefs d’œuvre culinaires. Ainsi, nous dit-il « toute action morale ne peut si elle veut le rester être incitée par autre chose que la raison pure et non pas les affects ou la satisfaction, même si ces dernières restent la motivation la première doit rester la Raison et en l’occurrence, en ce qui concerne nos dirigeants, la Raison d’Etat. C’est la première règle. C’est pour cette raison que la Raison d’Etat se doit d’être complétée en tenant compte des individus et non pas d’un Etat tout seul, vide évidé qui fonctionnerait par lui-même tout seul, même chose pour notre système économique qui ne peut coïncider avec l’intérêt de chacun pour rester Smithien, sans l’intervention et la régulation par L’Etat encore une fois, sans d’autres motivations que la raison d’Etat celle du peuple (de la nation) et non pas celle d’intérêts particuliers qui satisferaient les uns ou les autres ou bien encore serviraient mal l’Etat français au nom de la satisfaction d’un quelconque politique d’avoir agrandi sa sphère d’influence.

Certes, il faut savoir se méfier de ces penseurs issus de l’actuelle Allemagne dont l’interprétation porte parfois à confondre rigueur et austérité avec morale et bien être, ces derniers ont fait en certaines époques le lit de la justification de certaines barbaries mais on peut néanmoins en retirer une certaine philosophie. Ainsi, la morale Kantienne doit être comprise non pas comme l’aboutissement d’un processus inhumain visant à éteindre nos affects et nos passions mais bien comme une méthode à suivre pour ne pas déroger à ces dernières mais bien au contraire les assouvir dans une conception humaniste et individualisée, non collective. C’est une condition de l’émergence de la civilisation.

Cette morale dont nous parlons nous permet de rejoindre la philosophie d’Aristote, premier inspirateur de ce projet de Constitution qui dans « l’Ethique à Nicomaque » lequel érige la Vertu comme principe politique numéro 1, cette dernière n’étant autre qu’un concept qui ne répond à rien de partisan (même pas les considérations religieuses) mais cherche à mener la société toute entière vers le Bonheur de chacun. C’est ce terme même qui est utilisé par Aristote et il nous semble bien que si Emmanuel Kant mort en 1804 avait pu aujourd’hui être interrogé, il aurait répondu qu’il avait lu l’Ethique à Nicomaque et s’en était inspiré.

La voie à suivre pour la Raison d’Etat n’est donc plus celle du Prince (du nom de l’Ouvrage de Machiavel) mais celle du roi et le roi, c’est le peuple (roi des rois des rois des rois mentionné à la cathédrale d’Angers à l’endroit même où on voit le Christ qui symbolise le peuple (mais aussi le taureau) et arrête la roue des Temps sur le vitrail principal. Pour quelle raison ? Pour prendre en main "le Politique".).

Il y a derrière la notion de pré carré français inspiré par Vauban comme un appel à la Raison d’Etat liée à un territoire qui est amenée à se réconcilier à sa véritable nature qui est celle du peuple, « forteresse imprenable », où chaque échauguette scrute chaque endroit de la société civile non pas pour le limiter de manière arbitraire mais pour mieux légiférer et faire régner la société de droit dans tous les domaines ou un individu peut encore être atteint dans ses droits.

Enfin, la raison d’Etat nous incite à « penser à long terme » et non pas dans le court terme, noyés que nous serions dans une conjoncture parfois difficile, c’est d’ailleurs pour cette raison là que le Général de Gaulle, en visionnaire a su être un des hommes politiques remarquables de notre XXème siècle.

Défendre notre pré carré ce peut être mener une politique civilisationnelle au nom des pays en développement notamment en Afrique en défendant notre vision d’une Europe du Sud différente d’une Europe du Nord. Jusqu’à rejoindre un jour le Royaume-Uni et par extension les Etats-Unis dans sa conception dynamique du développement par le nouvel alignement monétaire. Nous convions ici le lecteur à lire l’ouvrage « le nouvel alignement monétaire » par Noura Mebtouche.

Enfin, pour ne pas céder la place à l’irraison d’Etat, chose encore moins pardonnable que la « déraison d’Etat » il faut mettre en avant certaines Valeurs qui ne laissent pas la place à « la faute ».

Ainsi, le Rapport Jospin, remis en 2012, évoque-t-il des idées de réforme en matière de déontologie de la vie publique. Même si nous ne sommes pas d’accord avec tout, notamment la disparition de la Haute-Cour de Justice (1) qui reste un des derniers bastions marquants du caractère exceptionnel de certaines hautes fonctions d’Etat avec les responsabilités qui vont avec, une grande partie des réformes souhaitées sont envisageables à notre sens intitulée « pour un renouveau démocratique « et parue en , elle s’attaque aux grandes problématiques contemporaines qui sont évoquées dans le cadre d’une remise en question du fonctionnement de la cinquième république : élection présidentielle, législative, parité, cumul des mandats, statut juridictionnel du chef de l’Etat et des ministres, prévention des conflits d’intérêt (cumul des mandats, fonctions entrepreneuriales mélangées avec des fonctions électives). Dans ce cadre, effectivement, une procédure de déclaration d’activité et d’intérêt examinée par des déontologues serait la bienvenue.

Et déjà, on parle du principe d’équité au sujet des temps d’antennes pendant les campagnes électorales. Un début (n’oublions pas que nous l’érigeons ici en PFLR) que ne ferait que renforcer la mise en place d’une autorité de déontologie de la vie publique ce qu’approuve Jean-Marc Sauvé longtemps président du conseil d’Etat.

(1)A ce sujet, le rapport préconise une réunion politique en Congrès pour juger de faits du domaine de la compétence de la Haute-Cour, mais le caractère trop politique et conjoncturel de telles formations revêt des dangers importants en matière de partialité et d’équité. Il y ici encore danger d’irraison d’Etat et d’arbitraire. De même que l’inviolabilité pénale ou civile du président de la République mérite d’être « gelée » à l’après-mandat, sauf cas extrêmement grave si l’on ne veut pas mettre en danger la stabilité des institutions.

Par Noura Mebtouche.

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