BLEU BLANC JAUNE

BLEU BLANC JAUNE

Mardi 11 décembre 2018, par Damien Loup

Le déluge de feu et de sang n’aura pas eu lieu. Malgré les harangues incendiaires de nos gouvernants – complaisamment relayées par la plupart les médias – si la journée de mobilisation du 8 décembre aura été marquée par des affrontements violents et une démesure répressive qui méritent d’être questionnées, elle n’aura pas dégénérée en cette guerre civile souhaitée – à demi-mot – au plus haut sommet de l’Etat.

Cette stratégie de la tension voulue par le gouvernement doit en revanche nous inviter à questionner ce qui, dans le mouvement protéiforme des « gilets jaunes », lui fait tant peur. L’hypothèse que je voudrais ici formuler est que, à rebours de l’antienne de la supposée « droitisation » de notre société – que l’on s’en félicite ou que l’on fasse mine de la déplorer – ce mouvement révèle, entre autres, une profonde aspiration républicaine à une démocratie pleine et entière. C’est du moins ce qui se dessine dès lors qu’on le confronte aux termes de notre belle devise.

L’égalité, d’abord. Si les porteurs de gilets ont pu – ici ou là – tenir des propos xénophobes ou réactionnaires, la revendication centrale qui émerge de leur mouvement est sans ambages celle d’un meilleur et plus juste partage des richesses, un partage à la mesure de leur contribution à leur création. Loin de la fronde poujadiste fantasmée par les ténors de la droite réactionnaire et les médias de masse, c’est l’ISF et non les frontières dont on demande le rétablissement. Ce n’est pas un mouvement épidermique de détestation de l’impôt, mais le souhait d’une fiscalité plus juste qui anime les contestataires, à qui on ne peut plus faire croire qu’ils doivent contribuer toujours d’avantage quand les plus fortunés échappent toujours plus à leurs obligations. Des femmes et des hommes auxquels on ne peut plus faire avaler l’invraisemblable sornette qui voudrait qu’alors que le gâteau de cesse de grossir, il faudrait se satisfaire d’une part toujours plus petite. Le roi est nu. La morgue et le mépris de la classe dirigeante n’abusent plus que les éditocrates. A cet égard, les revendications d’une assemblée constituante ou d’une abolition du Sénat qui ont pu émerger ici ou là sont révélatrices de la conscience des citoyen-e-s de la crise profonde de la représentation politique.

La liberté ensuite. Si le mot d’ordre n’est pas explicite, il est en réalité au cœur du mouvement tant la revendication d’un meilleur partage des richesses traduit la volonté de retrouver le pouvoir de mener son existence librement, sans avoir à quémander l’aumône auprès du cercle familial ou de l’assistance publique. Nombre d’interventions frappent par l’aspiration à restaurer une dignité mise à mal par la précarisation continue que produit le néolibéralisme. Mais la question de la liberté politique se donne également à voir, en creux, dans la répression policière du mouvement qu’expérimentent dans la douleur les gilets jaunes. Une répression qui, au passage, ruine définitivement la prétention « libérale » du pouvoir actuel, dont la détestation de la liberté politique n’est pas moindre que tous les populistes auquel il affirme s’opposer. En se trouvant brutalement exposé à la tradition autoritaire de notre culture politique et, en particulier, aux abus dans l’usage de la force par les services de police, peut-être les « gilets jaunes » seront-ils demain plus sensibles à la question de l’effectivité de l’Etat de droit et du respect des libertés publiques. Il faut du moins l’espérer, car cette répression démesurée peut également être à l’origine d’un pourrissement réactionnaire du mouvement – ou du moins, d’une partie de ses acteurs – qui, outre le risque d’émeute, est susceptible de nourrir un autoritarisme plus grand encore. C’est pourquoi on ne saurait trop conseiller aux défenseurs des libertés de s’emparer sans attendre de la situation.

Car, à n’en point douter, c’est la fraternité qui sera décisive de la pérennité de ces aspirations démocratiques que, pris de panique, le gouvernement cherche à étouffer par tous moyens. D’une certaine façon, c’est aussi une demande de solidarité qui s’exprime au travers du mouvement des gilets jaunes. Solidarité dans le partage des profits et des charges du vivre ensemble bien sûr, mais aussi entre les grandes métropoles et les territoires ruraux ou périurbains, entre le centre et la périphérie. Une solidarité qu’il faut, en retour, souligner entre leur révolte et celles qui animent tous les défenseur-e-s de la démocratie. Entre la lutte contre les inégalités et la lutte contre la destruction de l’environnement, qui toutes deux procèdent du processus de prédation capitalistique. Entre la lutte pour la dignité et la lutte pour les libertés publiques, indivisibles droits civils, politiques, économiques et sociaux. Entre toutes les luttes contre l’exploitation économique, qu’elles frappent les travailleurs précaires des petites villes et des campagnes ou les travailleurs sans-papiers de l’Ile de France. Il est de la responsabilité de toutes les forces militantes déjà engagées dans ces combats d’entamer ou de poursuivre le dialogue avec les gilets jaunes. Peu importe que l’aspiration républicaine qui émane de leur rang soit ou non minoritaire. Il suffit qu’elle existe pour nous ayons le devoir d’y répondre.

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