Que faut-il retenir du procès Lombard ?

Que faut-il retenir du procès Lombard ?

Samedi 22 février 2020, par Michel Dana

Il y a 15 ans, France Telecom était traversée par une crise sociale sans précèdent dans la vie de cette entreprise. Elle avait pourtant résisté à un changement de statut, à une mise en concurrence, à l’ouverture de son capital. Mais elle n’aura pas résisté à une équipe de managers toxiques qui voulaient dégraisser les effectifs à tout prix, et surtout sans respecter les procédures du droit social qui prévoient des concertations avec les représentants du personnel et des dédommagements pour les personnes privées de leur emploi.

La justice a donc tranché après de longues années d’enquête et d’investigation. Hélas, les peines prévues par la loi pour les faits de harcèlement sont si faibles par rapport à la gravité du préjudice subi par les victimes que les parties civiles, si elles sont soulagées par la reconnaissance de la faute, trouvent les peines bien légères. D’autant plus qu’il est probable que les condamnés ne les effectueront pas dans leur intégralité. Orange a sagement décidé de ne pas faire appel de sa propre condamnation, mais en rejetant par un habile tour de communication la faute sur son ancienne identité de France Telecom. Elle oublie juste de dire que depuis les faits, de nombreux cadres mis en cause dans cette affaire ont conservé des postes à responsabilité dans l’organisation.

Si le procès s’est concentré sur les personnes aux commandes à l’époque, Il a complètement laissé dans l’ombre le rôle ambigu de l’Etat simultanément actionnaire, administrateur, régulateur, employeur qui savait forcement des choses et qui a laissé faire sans état d’âme jusqu’à ce que les suicides désormais médiatisés deviennent une affaire nationale.

L’état est en effet responsable de ne pas avoir anticipé les transformations du secteur en adaptant la structure du capital de l’entreprise et du statut du personnel pour un marché concurrentiel. Le régulateur ne se préoccupe que de créer une concurrence exacerbée sans tenir compte du volet emploi. Le législateur transforme le marché des télécoms sans anticiper la révolution du haut débit et la fracture numérique conséquence directe du modèle de concurrence choisie. On pourra donc mettre au crédit des managers de l’époque qu’ils étaient eux même soumis à des injonctions contradictoires de leur tutelle impossibles à satisfaire

On peut aussi évoquer la consanguinité des cadres de l’entreprise, tous passés par les mêmes écoles, formés à un management quasi militaire dans l’idéologie d’un chef omniscient et bienveillant, sans aucun développement de leur esprit critique. Si le chef faillit, aucun contrepouvoir ne peut plus amortir la catastrophe résultante. Cette culture reste malheureusement prégnante dans le groupe Orange actuel.

L’affaiblissement de l’équilibre entre direction et partenaires sociaux conséquence des nombreuses reformes du droit du travail impulsées depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, continuées sous François Hollande, et culminant avec Emmanuel Macron obligent désormais les syndicats à envisager d’autres modes d’action. La pénalisation des procédures contre les cadres dirigeants se multiplieront, puisqu’il semble que désormais ce sera le seul recours judiciaire qui inquiètera réellement les patrons. Les actionnaires seront les derniers partenaires susceptibles d’influencer les décisions. Il faudra donc investir les assemblées générales et les conseils d’administration via le biais de l’épargne salariale. Aujourd’hui chez Orange, les salariés sont le 2e actionnaire après l’Etat, représentant 10% des votes en AG et sont en capacité d’influencer les décisions du conseil d’administration ou de l’assemblée générale.

Si l’on souhaite restaurer un dialogue social plus équilibré, les syndicats devront donc sérieusement revisiter leurs modes d’action pour déplacer leurs combats vers de nouveaux horizons où ils retrouveront une vraie possibilité d’influence dans l’intérêt des salariés. L’actuel locataire de l’Élysée a théorisé la disparition des corps intermédiaires, mais il n’a sans doute pas anticipé leur transformation en capitalistes avertis.

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