HUMANISME

HUMANISME

Dimanche 9 août 2020, par Charles Guittard

Ce texte de Charles Guittard développe l’intervention sur l’humanisme qu’il a faite par vidéo le samedi 6 juin.

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L’humanisme, un mot simple apparemment : nous sommes tous des humanistes, qui ne l’est pas ? Le terme est presque banal, au point qu’on en oublie le fondement. Il serait même un peu péjoratif : l’humaniste serait un intellectuel pétri de bons sentiments, un idéaliste, qui fuit les engagements, l’action. Pourtant, il y a des organismes qui défendent les droits de l’homme, il y a des organisations dites humanitaires, il y a des ONG, au service des bonnes causes.

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La première idée qui se présente à l’esprit, c’est le mouvement qui s’étend en Europe à la Renaissance, au XVIe siècle, en France. Deux noms viennent à l’esprit pour illustrer l’humanisme, ceux de Montaigne et de Rabelais ; en fait, deux visages très différents, mais complémentaires et représentatifs ; tous les deux proposent une nouvelle éducation, une nouvelle sagesse. La Renaissance, c’est, après des siècles de scolastique médiévale, le retour à l’Antiquité, aux textes, la rupture avec le dogmatisme, le retour à l’esprit critique, y compris sur les textes bibliques, on songe aussi à Erasme. C’est un souffle, un formidable mouvement d’espoir qui touche les lettres et les arts. Ce mouvement va se poursuivre avec les Lumières qui verront le triomphe de la Raison et la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. Humanisme et Citoyenneté inséparables !

On voit donc se dessiner, avec la Renaissance, un retour à l’Antiquité classique. L’humanisme consiste à placer l’homme au centre de la société, à prendre en compte tout l’humain, selon le vers d’une comédie de Térence, Le Bourreau de soi-même : « Je suis un homme et je pense que rien de ce qui est humain ne m’est étranger ». Cette formule est souvent citée pour définir l’humanisme.

Après Platon et Aristote, les hommes savent qu’ils font partie d’une communauté humaine. L’homme est au centre de l’univers, qu’il essaie de comprendre. Ce qui sort de l’humain est inhumain, l’homme s’oppose à l’animal, ou il est un animal rationnel, doué de raison, ce qui n’est plus humain relève de la monstruosité. Les Barbares ne sont pas civilisés, mais ce sont des hommes, des humains.

L’humanisme antique, souvent donné en exemple (et il y a bien un humanisme antique) exclut les barbares et les esclaves. Les esclaves sont des choses, ils n’ont pas d’existence. Sénèque sera l’un des premiers a dire haut et fort, dans une de ses Lettes à Lucilius, qu’un esclave est un homme, au même titre que son maître.

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L’humanisme relève de la condition humaine. Il est intéressant de recourir à l’étymologie. Etymologiquement, le mot se rattache à la terre : l’humanisme nous enseigne que l’homme est défini par sa condition mortelle, il est lié à la terre, de condition terrestre, par opposition aux dieux qui sont immortels et vivent dans les hauteurs célestes. Dans les conceptions antiques, même les dieux sont à l’image de l’homme, la conception est anthropomorphique et même le christianisme conçoit l’homme à l’image de Dieu. En soi, l’humanisme libère l’homme, y compris de la religion et des dieux, même si, bien sûr, il y a un humanisme chrétien.

La notion a évolué depuis l’Antiquité ; il y a un humanisme chrétien, athée, scientiste, marxiste, et aujourd’hui il y a même un transhumanisme, qui veut dépasser la condition humaine. Elle est fortement imprégnée de l’antiquité grecque et romaine, marquée aussi par le christianisme, mais pour nous la notion demeure liée à la Renaissance, au retour aux racines grecques et romaines, à un héritage culturel.

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L’ère moderne a vu apparaître différentes formes d’aliénation de l’homme. Cela commence avec la civilisation industrielle et se poursuit avec l’avènement des totalitarismes au XXe siècle, avec leurs formes en Allemagne nazie et en Russie soviétique. Des systèmes exploitent l’homme, en niant son individualité. Des totalitarismes écrasent l’homme, au profit des masses, même en voulant mettre fin à l’exploitation de l’homme par l’homme.

Est-on encore humaniste aujourd’hui ? L’humanisme a-t-il un sens ? Après Hiroshima, après les camps de concentration, après la Shoa, s’est posée la question de l’humanisme.

Un débat est intervenu au lendemain de la Seconde guerre mondiale, une guerre qui avait montré les limites de l’humain, le retour à la barbarie, à l’animalité. Les philosophes à la mode se sont alors posé la question de l’humanisme, de la place de la philosophie dans la cité.

En octobre 1945, Sartre prononce à Paris une conférence, qui aura un large écho : l’existentialisme est un humanisme. En 1946, le philosophe Jean Beaufret, qui avait été le condisciple de Sartre et de Raymond Aron à l’Ecole normale supérieure, posait une question dans une lettre adressée à son maître Heidegger : comment donner ou redonner un sens au mot humanisme ? Heidegger y répond dans une lettre publiée l’année suivante. Pour Heidegger, la domination des sciences comme la biologie ou l’anthropologie, liées à la métaphysique, ne permettent pas de définir la dignité humaine. Il faudrait dépasser l’humanisme, abandonner ce terme, ne plus penser l’homme comme animal rationnel. Sous la plume de Heidegger, der Mensch ne désigne pas l’homme, mais l’être humain, qui ne relève plus de l’anthropologie.
L’humanisme romain dont la pensée humaniste actuelle est issue se constitue par annexion de l’idéal grec de la paideia c’est-à-dire, de l’éducation. Toutes les formes connues de l’humanisme (chrétien, marxiste, sartrien, personnaliste) s’accordent sur ce point que l’humanitas est interprétée à partir d’une interprétation déjà établie de la nature, du monde, du fondement du monde. On peut regretter toutefois que Heidegger ait évité toute confrontation directe avec l’humanisme historique tel qu’il est représenté par des philosophes comme Montaigne ou Descartes qui récusent justement la définition de l’homme comme « animal raisonnable ».

A l’automne dernier, le débat est revenu à l’ordre du jour avec le philosophe Francis Wolff., et son Plaidoyer pour l’universel (Paris, Fayard, 2019) L’humanisme est fondé sur des valeurs universelles, qui dépassent les cultures et les nations mais les reconnaissent en elles-mêmes. Alors qu’elle s’impose dans les consciences, l’unité de l’humanité recule dans les représentations : revendications identitaires, nationalismes, xénophobies, radicalités religieuses.

Contre ces replis, il faut que les idées universalistes retrouvent leur puissance mobilisatrice et critique. Contre la dictature des émotions et des opinions, il faut défendre la raison scientifique. Contre l’empire des identités, il faut refonder une éthique de l’égalité et de la réciprocité.

Sur quoi peut aujourd’hui reposer cet héritage des Lumières ? L’humanité est seule source de valeurs. Pour autant, nous ne sommes pas condamnés au relativisme. Car l’humanité, ce n’est pas seulement l’ensemble des êtres humains, c’est aussi la qualité présente en chacun de nous et qui nous lie aux autres : non pas la capacité de communiquer qui est aussi propre à d’autres espèces, ni l’aptitude à raisonner que possèdent certaines machines, mais la faculté de raisonner en communiquant, autrement dit de dialoguer.

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Les sociétés contemporaines sont déshumanisées, du fait de l’informatisation des tâches, de la place prise par l’intelligence artificielle. IL y a une déshumanisation de nos sociétés. La culture n’est plus au cœur de l’éducation.

Or, l’humanisme est lié aux humanités, à l’idée d’une culture, à l’éducation, à l’enseignement, à la philosophie, à l’usage de la raison, à l’exercice de la démocratie, comme l’ont enseigné les Anciens. Il faut rapprocher humanisme et humanité, au singulier et au pluriel. Cette idée remonte en fait à la Renaissance. Les humanités ont été sacrifiées dans notre système éducatif, au sens d’une culture classique. Il n’est pas question de lire dans le texte Platon ou Cicéron, mais d’acquérir une culture, une capacité d’esprit critique, de recul. L’école doit former des citoyens.

Selon l’humanisme : l’homme est citoyen du monde, mais le cosmopolitisme n’est pas le mondialisme ou la mondialisation, il reconnaît les cités et les nations, les différences, les différentes cultures.

Ce qui définit l’humanisme, c’est la reconnaissance des valeurs humaines, l’homme a une valeur, il n’est pas une marchandise, il n’a pas de prix, mais une valeur et l’idée de ressources humaines, chère à nos systèmes économiques, est étrangère à l’humanisme. Il ne peut y avoir de marchandisation de l’humain.

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L’homme se définit par sa place dans la cité, par l’exercice de la raison et de la parole, par l’exercice de ses droits et le respect de ses devoirs. Former des esprits critiques, des hommes capables de penser, des hommes cultivés, civilisés, voilà le but de l’humanisme, Comme le disait Jaurès, la valeur de toute institution est relative à l’individu humain. C’est l’individu humain, affirmant sa volonté de se libérer, de vivre, de grandir, qui donne désormais vie aux institutions et aux idées. C’est l’individu humain qui doit être la mesure de toute chose, de la patrie, de la famille, de la propriété. L’humanisme s’inscrit dans l’Europe des Lumières, avec la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Dès lors l’humanisme est inséparable de la citoyenneté et de l’idée de démocratie.