Echange, témoignage d'un non militant politique happé par le mouvement des Gilets-Jaunes

Echange, témoignage d’un non militant politique happé par le mouvement des Gilets-Jaunes

Vendredi 25 novembre 2022, par André Bellon, Thierry Dechaume

Thierry Dechaume a été un gilets jaunes très actif. Il a témoigné de violences injustifiées.

Il a ci-dessous un entretien avec André Bellon sur ces questions, entretien d’autant plus nécessaire alors que, jusqu’à présent, la presse a donné une version pour le moins fort orientée.

André BELLON

- Thierry bonjour, tu es un jeune retraité de la Police national qui a exercé pendant des décennies le métier de Gardien de la Paix. En 2018 initiateur de l’installation d’une représentation du Mouvement des Gilets-Jaunes sur un Rond-Point, tu as témoigné par écrit, nominativement, de certaines situations de violence inadaptées à l’encontre de Gilets-Jaunes auprès du Défenseur National des Droits, du syndicat de la magistrature et du Président du Sénat.

Comment et pourquoi quelqu’un qui n’a jamais été impliqué politiquement s’est retrouvé si engagé dans ce Mouvement pour lequel tu as d’ailleurs été le premier à révéler publiquement la méthode de répression économique individualisée légitimant des interpellations sur un fondement juridique qui en dit long sur le traitement politique de ce mouvement, l’Article R116-2 du Code la voirie routière et l’article L412-1 du Code de la Route ?

Thierry DECHAUME

- Depuis des années, à travers différentes expériences de vie, s’est développée une conscientisation de notre condition. Très tôt, j’ai très vite assimilé que nos vies étaient intimement liées et conditionnées à des décisions ou manque de décisions politiques impactant directement sur nos vies au quotidien et nos devenirs.

Très tôt, s’est donc développée une sensibilité à la chose politique que je percevais comme un entre-soi professionnel réservé aux détenteurs de compétences et de savoirs indispensables pour exercer au mieux ces fonctions d’administrateurs d’une communauté politique nationale et locale.

Ignorant tout de la chose politique, dans mon esprit, seuls les plus expérimentés, les meilleurs au sens les plus compétents et vertueux en termes de sincérité pour le bien public, l’intérêt général, l’amélioration de la condition humaine, animale et environnementale, pouvaient prétendre à exercer ces fonctions.

Ce sont les circonstances de la bascule sociétale économique dérèglementée qui s’est imposée à nous dans tous les domaines de nos existences ainsi qu’une expérience de vingt ans au sein des instances de la politique de la ville où je représentais ma fonction institutionnelle qui ont érodé ma perception idéaliste du monde politique.

AB :

- Pourquoi ne pas avoir intégré un courant politique, syndical, associatif existant pour dénoncer ces observations, pour espérer contribuer à modifier le cours des choses ?

TD :

- J’ai vu des personnalités entrer dans le modèle actuel politique, syndical et associatif pour s’y engager avec sincérité et détermination. Qu’ont-ils pu faire fondamentalement changer au sens traduire dans la réalité des améliorations pour résorber ce qui nous est préjudiciable ?

Le Mouvement des Gilets-Jaunes m’a donc happé car, justement, il m’apparaissait être un aiguillon, un outil Politique affranchi d’un cadre imposé pour rappeler à l’ordre les décideurs politiques, ne pas permettre, empêcher et faire cesser ce qui nous est imposé, impacte sur nos vies économiques et environnements de vies, sans avoir recueilli l’expression directe de la volonté majoritaire nationale et locale.

Il était aussi l’occasion d’exprimer Stop, maintenant çà suffit cette oppression économique au quotidien faite de charges contraintes et d’élire des administrateurs politiques se présentant librement pour être censés créer les conditions pour améliorer nos vies tout en permettant, n’empêchant pas et ne faisant pas cesser tout ce qui peut les dégrader, les oppresser.

AB :

- Qu’as-tu vécu durant cette période ?

TD :

- J’ai vécu cette période alternée de peurs et de belles émotions liées au sentiment de libération d’années de fatalismes avec l’idée qu’on n’y peut rien.

Mais plutôt légaliste, courant François Boulo brillant orateur, avocat à la fibre réformateur, bien loin des représentations disqualifiantes des Gilets-Jaunes largement médiatisées, cette peur était portée par une magnifique intelligence collective et l’exemplarité d’un engagement de femmes et d’hommes faisant un même constat, ayant de mêmes aspirations, ayant souvent une conscience politique et une connaissance de l’histoire sociale de notre pays qui me dépassait.

Tous s’impliquaient dans la désobéissance civile avec un courage et une détermination qui me subjuguaient. Eux comme moi, n’étions plus seuls.

Cette expérience politique m’a, également, révélé à quel point nous n’étions pas en Démocratie comme on ne cesse de l’entendre tel un slogan brandi pour disqualifier toute opposition et faire passer des décisions soi-disant au nom de tous.

A quel point nous étions dans un modèle politique que je qualifie, aujourd’hui, à la révélation du traitement politique de cette éruption populaire, d’autocratie ploutocrate oligarchique.

De mémoire et avant la stratégie de disqualification médiatique de cette éruption Populaire, 80% de l’opinion publique comprenait cette éruption, y adhérait.

Ce n’est pas rien.

Ce pourcentage signalait, alertait, signifiait une problématique majeure, à laquelle cette gouvernance a répondu par l’usage des outils institutionnels de la répression. C’est un déni patent de Démocratie car d’autres options auraient pu être utilisées comme j’y reviendrais.

AB :

- Mais ce qui pouvait être entendu du Président, de l’exécutif et des acteurs issus de nombreuses composantes de la société, c’est que les Gilets-Jaunes étaient un agrégat de gens violents, inadaptés à la société, voulant renverser les institutions, non organisés, n’ayant pas de projet, xénophobes, d’extrême droite…

TD :

- De part mon métier qui consistait aussi à évaluer des profils et des risques majeurs de troubles à l’ordre public, j’ai été surpris par cette description si éloignée de ce que j’observais sur le Rond-point, dans les Assemblées, les Agoras citoyennes et dans les plus de quarante manifestations auxquelles j’ai participé.

Connaissant les compétences des services spécialisés du renseignement intérieur, il m’était impossible d’imaginer que seules de telles informations non conformes à la réalité aient été remontées. J’en résulte, d’autant plus aujourd’hui, que le mensonge avec une intention volontaire au plus haut niveau de l’état a servi une stratégie ayant pour objectif de construire dans l’opinion publique une représentation disqualifiante permettant à l’exécutif de faire usage de tous les moyens pour éteindre cette forme d’expression d’opposition politique qui aurait pu être traitée différemment par, tout simplement, la reconnaissance de causes amenant à une telle situation et la garantie Présidentielle de doter notre pays des réformes politiques et économiques nécessaires pour y remédier.

AB :

- Peux-tu préciser ?

TD :

- Concernant ce dernier point, il me paraît évident après vingt ans de fonction dans un service spécialisé dans la gestion proactive de troubles majeurs à l’ordre public, qu’une communication adaptée pouvait désamorcer le cours des choses.

Sur le Rond-point, notre meilleur recruteur était le Président de la République.

A chaque prise de parole médiatisée, mon portable ne cessait de sonner pour savoir comment intégrer notre groupe.

Concernant la non-organisation des Gilets-Jaunes, le manque de projet.
Moins d’un mois après l’éruption des premiers rond-point, une architecture se dessinait et permettait la création d’un lien de coordination entre tous les administrateurs des ronds-points en vue d’actions communes pour amener l’exécutif à cesser cette disqualification et à prendre des mesures pour faire cesser l’oppression économique au quotidien élargie à une volonté de réformes pour redonner la main politique et économique à la souveraineté du Peuple.

De magnifiques propositions politiques et économiques innovantes, créatives, réalistes ont émergé des aspirations majoritaires entendues chez les Gilets-Jaunes.

AB :

- Concernant l’accusation d’un agrégat de personnes inadaptées.

TD :

- Si toi, ex-Député, Polytechnicien et moi pur produit des institutions sommes inadaptés…

Peut-être le sommes-nous ? Mais à ce qui nous est imposé comme un état de fait vendu irréversible, immaîtrisable et incontournable par cette véritable dictature d’une sphère économique Privée archaïque, dépassée, contre-progressiste qui nous est présentée comme la seule réalité optionnelle possible, qui n’a de cesse de déposséder, privatiser notre société, notre bien commun, public, tout ce qui constitue l’intérêt général humain, animal, environnemental et destructrice d’un pacte Républicain protecteur de libertés fondamentales individuelles et collectives dont celle, entre autre, de refuser de se soumettre à cette dictature économique de marché et au modèle délétère qui en découle fondé sur la consommation, des résultats de productivités, de croissances et d’excédents aléatoires sur lesquels reposent, par voie de conséquence des liens de causes à effets, la vie et l’avenir de nos contemporains puis l’aléatoire et l’appauvrissement des grands budgets d’états et des moyens économiques ne pouvant plus être concentrés sur les leviers de la prospérité générale et des progrès technologiques indispensables pour tout mettre en œuvre afin de libérer, affranchir et émanciper la condition humaine, animale et environnemental de cette interdépendance interactionnelle avec ce modèle économique maltraitant, dégradant, oppressant, destructeur.

Pour en revenir aux images qu’offrait aux regards de l’opinion publique les grands médias de masse, des images en masse de violences et de profils d’individus qu’on qualifie communément de marginaux, vivant en marge de la société, exprimant des troubles de comportements sociaux… Sur les Ronds-points, dans les Assemblées comme dans les manifestations, ces profils représentaient une infime minorité d’individus. Pour exemple dans les manifestations, une vingtaine sur six milles manifestants.

Quant à l’image de gens d’extrêmes droites, xénophobes etc…Le Mouvement des Gilets-Jaunes était un agrégat de personnes en colères de toutes sensibilités. Il était sincèrement impossible de réduire à cette représentation la grande majorité qui le composait. Bien au contraire, si je prends l’exemple du Rond-point que j’administrai, les profils étaient très largement issus des déçus des syndicats et des courants politiques de gauche.

AB :

- Concernant plus globalement le « Peuple des Gilets-Jaunes ».

TD :

- Il était constitué majoritairement de vous, de moi, de salariés, d’employés et de retraités de toutes catégories sociales, de professions libérales, d’artisans, de commerçants, de gens s’adaptant aux règles, peu enclins à la violence, bien au contraire, la rejetant, exprimant « je n’ai pas à entrer dans la violence ni à la subir pour faire respecter mon droit Premier, sacré, à l’expression d’une opposition politique », mais nourris d’une volonté que cessent cette oppression économique au quotidien et ce modèle politique et économique favorisant le démembrement de l’économie publique au profit d’une économie privée déréglementée, s’accaparant tous les domaines des besoins, les espaces et le bien public qu’à des fins de profits générant des vies et des sociétés soumises à sa dictature.

Une des illustrations qui peut symboliser l’esprit de la demande majoritaire des Gilets-Jaunes peut se résumer à cette citation de Pierre Desproges « Pour les missiles antimissiles, il y a les impôts. Pour le cancer, on fait la quête. »
Une citation duplicable dans tous les domaines des besoins individuels, collectifs, d’intérêts communs et généraux.

Pourquoi ne pas imaginer que, par exemple, soit brisée la dépendance de l’économie publique à l’économie privée, marchande, de la consommation, des marchés, pour en faire une sphère indépendante, autonome, aux ressources sans réserve pour financer tout ce qui est nécessaire à l’amélioration de la condition humaine, animale et environnementale ?

C’est aujourd’hui une demande qui est même exprimée par certaines personnalités du monde de l’économie et du Haut Conseil pour le Climat ?

Pourquoi ne pas doter politiquement nos Institutions de la capacité, par exemple, de créer l’argent public sans limite et une Administration idoine pour œuvrer sur la mise en œuvre de tous les moyens pour remédier à tout ce qui est préjudiciable à la condition humaine, animale et environnementale ?

Dans le modèle ultra libéral qui s’impose à nous, il semble, que des solutions thérapeutiques éradiquent certaines maladies mortelles contre des traitements dépassant 100 keuros. C’est une infamie, une abjection que de soumettre le sort d’un individu à sa capacité de financement ou pas du traitement.

Au nom de quel principe une communauté politique doit-être soumise à un Brevet privé pour répondre à un intérêt général ? J’ose condamner cette ignominie par le néologisme brevetiser incluant l’idée de privatisation de brevets à des fins d’exclusivité, de monopole et de dépendance de ce qui est vital à toute une société à une société privée, marchande. Dans des modèles économiques ultra libéraux, des sociétés privées brevetisent même le vivant, des espèces florales et animales en voies d’extinctions pour en tirer des profits économiques. Dans cette logique du droit à déposséder par la brevetisation ce qui constitue l’humanité, le bien commun universel, comment ne pas imaginer que ces mêmes sociétés avides de profits mettent en place des stratégies de réalisation de moyens délétères pour se positionner en prestataires de moyens y remédiant.

Est-ce ce monde de la soumission à l’argent privé, sans scrupule, sans moral que nous voulons pour les générations à venir et nous-mêmes ?

Dans le pays des Lumières, au regard d’une intelligence collective extraordinaire et de progrès technologiques apparaissant sans limite, capables de concevoir ce qui ne pouvait même pas être imaginé, ne sommes-nous pas capable de créer un modèle politique et économique répondant à cette nécessité que la prospérité et le progrès des sociétés ne doivent pas être soumis à une sphère économique privée privatisant tous les domaines des besoins ?

De mon point de vue, dans l’expression élargie des aspirations de la plus grande majorité des Gilets-Jaunes, j’y percevais une volonté de réformes très avant-gardistes rompant avec l’archaïque modèle politique et économique d’aujourd’hui, je le répète antédiluvien, dépassé, archaïque faisant du possédant économique un véritable monarque ayant droit de vie et de mort sociale sur les personnes, assujettissant la vie de nos concitoyens, la condition animale et environnementale, le bien commun, public et d’intérêt général à n’être que des sources de profits, de production, de consommation, de croissance, de rendements, amenant aux plus ignobles dérives alors qu’aujourd’hui d’autres alternatives à ce modèle économique délétère existent pour briser ces relations de causes à effets dévastatrices.

AB :

- Mais au-delà de ces espérances qui pour toi ne sont assujetties qu’à des volontés politiques dont on a bien compris la difficulté de les voir se concrétiser, quelle perception as-tu de la demande globale des Gilets-Jaunes ?

TD :

- Tout d’abord, la demande n’était pas de vivre riche et encore moins de vivre assisté, sans travailler en voulant tout comme j’ai trop parfois pu l’entendre des opposants à ce mouvement.

Bien au contraire. La demande était de pouvoir vivre simplement et dignement de son travail et d’offrir aux enfants de réelles perspectives de vies sécurisées, non soumises à la précarité et à l’oppression économique au quotidien pour qu’ils puissent créer leurs vies sans être soumis à ces facteurs de stress au quotidien.
J’entendais une expression générale de volonté de réformer le modèle politique et économique pour créer les conditions afin que les vies ne soient plus soumises à des sources de revenues assujetties aux aléas de fluctuations de marchés concurrentialisés conditionnant toute une société soumise aux aléas d’une politique économique débridée, non protectrice.

Face à ce fléau destructeur de l’insécurité et de la prédation économique au quotidien, j’entendais un besoin de paix, de sérénité, de sécurité économique, vivre avec peu mais l’esprit en paix.

J’entendais parler de développement et d’épanouissement personnel, de respect du vivant, de la nature…

J’entendais des gens porteurs de valeurs et de principes très profondément ancrés de protection de l’autre, du bien être animal et de la nature.

Bref et je le redis, j’entendais des aspirations très avant-gardistes si loin du Bling bling outrancier des années quatre-vingt et des premiers de cordées qui, sous la représentation de progressistes réformateurs innovants, ne font que continuer à développer un schéma politique et économique très archaïque totalement dépassé violent, maltraitant et ne répondant pas aux grands enjeux progressistes de demain tels que la sécurité économique individualisée un des fondements majeurs d’une sécurité psychique socle du développement et de l’épanouissement personnel au sein d’une société dans laquelle celui ou celle qui n’a pas peur de manquer, n’a plus peur de donner et de consacrer désintéressé son temps aux autres, aux arts, à la cause animale, environnementale et à la vertueuse politique.

Lorsque nos concitoyens comme les Peuples sont soumis à l’insécurité économique subsistancielle les contraignant à devoir faire de leur survie au quotidien la seule priorité, ils n’ont pas la disponibilité pour des implications autres que celles qui leurs sont indispensables pour ne pas sombrer dans la précarité et sous la charge de l’oppression économique au quotidien artificiellement construite.

A l’écoute des grandes expressions majoritaires dans notre pays quant au constat des effets dévastateurs du modèle politique et économique actuel, je perçois notre temps comme la fin d’une expérience qui nous a démontré les conséquences mortifères d’un modèle dictatorial de l’économie de marché dérèglementé, débridé qui au nom de l’emploi, de la prospérité, de risques de chaos économiques etc, a imposé de force sans consentement, une rupture avec des valeurs et des principes Premiers protecteurs de la condition humaine, animale et environnementale.

Cette expérience, et j’en suis convaincu, amènera à un grand progrès que j’ose qualifier de civilisationnel si on peut le définir comme l’outil, la structure, le fondement, l’architecture, le schéma socle de nos sociétés permettant à tout être humain d’accéder à une sécurité psychique, physique, subsistancielle et matérielle réelle, inaliénable et imprescriptible qui l’affranchiraient des peurs des lendemains incertains, du stress et des nombreuses pathologies liés à la précarité économique, à l’angoisse de ne pas pouvoir accéder à un toit et aux besoins les plus fondamentaux, d’en être privé, dépossédé, prédaté, ainsi que d’être contraint au non libre choix imposant des comportements, des valeurs, des principes non conformes à ses aspirations.

La sécurité économique subsistancielle individuelle fondement de la sécurité psychique et du libre choix, m’apparaissent personnellement comme les véritables indicateurs d’un réel progrès civilisationnel si espéré que j’appelle de tous mes vœux.

La société y est prête…

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