Position de Roland Weyl sur la Constitution
Mercredi 11 janvier 2012, par
Dans le cadre des débats sur les institutions, nous publions ci-dessous l’analyse et les positions de Roland Weyl.
La nécessité d’une Constituante résulte a priori de la condamnation de celle de 1958, pour laquelle je ne serai pas le dernier alors que pendant tout l’été 1958 j’ai, en coauteur avec Monique Picard-Weyl, assuré hebdomadairement dans « France Nouvelle » une rubrique pour en combattre le projet, et cela s’est suffisamment vérifié pour qu’il ne soit pas nécessaire de le démontrer ici.
Il semble cependant nécessaire de ne pas se borner à des critiques de techniciens ou de mécaniciens constitutionnalistes, mais de bien cerner les enjeux.
En effet, au-delà du Présidentialisme, elle a œuvré au pire fléau contemporain qui est la délégation de pouvoir, dont la dévastation idéologique de masse est effroyable et souvent masquée. Ainsi le terme à la mode de « société civile » : Au regard de quelle société non civile, sinon une « classe politique » professionnalisée, politicienne, et considérée comme étrangère, voire hostile au peuple, dans un anathème qui englobe la malfaisance a priori de l’État. En cohérence, la démocratie est réduite aux élections, et les partis politiques sont cantonnés à devenir des appareils de recrutement d’électeurs. Et au journal de France Inter (entre autres) on entend couramment « et maintenant passons à la politique », pour parler des élections, des candidatures, et des partis, comme si la politique n’était que cela et le reste n’en étant pas.
L’individu devient objet de pouvoir au lieu d’en être l’acteur. C’est la notion même de citoyenneté qui est en cause. Cette dégradation est favorisée par le fait que la révolution scientifique et technique produit une idéologie de modernité qui incite à oublier toute la culture politique acquise au cours de siècles de luttes, et une idéologie de technicisme qui alimente la professionnalisation.
L’enjeu fondamental est donc entre le pouvoir par en haut ou le pouvoir par en bas. Nous (Monique et Roland Weyl) avons écrit en 1998 un petit livre intitulé « Démo-cratie, pouvoir du peuple » où nous disions que la démocratie représentative est incontournable, mais qu’elle ne doit pas être délégataire mais instrumentale.
Cela pose la question de l’État : Le « trop d’État » est un slogan du libéralisme qui nous gouverne. Nous écrivions naguère dans « la Pensée » « Et si l’État c’était nous ? » .La question n’est pas de savoir s’il y a assez ou trop d’État mais de qui l’État est l’instrument de pouvoir : sur le peuple ou du peuple sur ses affaires.
Il y a d’ailleurs dans l’actuelle constitution deux articles qui la contredisent et qui pour la forme ont été repris de la précédente : l’article 3 qui dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple français qui l’exerce par ses représentants » (et non pas « dont les représentants l’exercent »), et l’article 72 selon lequel « les collectivités locales s’administrent librement par leurs conseils élus » (et non pas « sont administrées librement par leurs conseils élus »)
Et intolérable est le slogan de « l’État providence », qui ne fait que recouvrir le désengagent social de l’État. Le fait que la dette ne soit plus seulement celle du Sud ou de la Grèce mais aussi des États-Unis montre que c’est un problème systémique, où alors que l’État a pour fonction d’assurer avec les ressources de l’impôt les besoins publics, il doit pour les assurer rémunérer le profit privé ;... aux dépens des besoins publics. Notre association Droit Solidarité vient d’amorcer une campagne rappelant que la France est signataire du Pacte des Nations Unies de 1966 sur les Droits Économiques et sociaux dont l’article 11 reconnaît à toute personne et sa famille un niveau de vie suffisant comportant nourriture vêtement et logement, ce qui condamne le désengagement social (Rappelons d’ailleurs que la Déclaration de 1789 n’est pas seulement des Droits de l’Homme mais aussi du Citoyen et qu’elle prévoyait le contrôle populaire des finances publiques.).
Une Constituante pour quoi faire
La pierre de touche est la notion de « souveraineté populaire ». Celle-ci a été le cheval de bataille de tous les progressistes du 19è siècle contre la confiscation de la révolution par la bourgeoisie. Elle a été portée au rang de valeur universelle par la Charte des Nations Unies »Nous peuples des Nations Unies....avons décidé d’unir nos efforts, En conséquence, nos gouvernements.... »
Elle est le contraire du populisme qui consiste à flatter le peuple pour qu’il abdique entre les mains d’un chef ou d’une oligarchie, alors qu’elle implique une intervention permanente, les élus en étant l’instrument de mise en œuvre.(en n’oubliant pas que la souveraineté populaire ne procède pas d’une idéalisation de la spontanéité du peuple et suppose une démocratie de l’éducation et de l’information.
En 1953 un juge d’instruction militaire disait à un militant « qui vous a permis de faire des affiches, des réunions, vous avez des députés, si vous n’en êtres pas contents, vous en changerez dans 5 ans », mais en 1954, lors du vote pour ou contre la Communauté Européenne de Défense, dans une file d’attente d’un kilomètre devant l’Assemblée Nationale des délégués de villages, d’ateliers, venus deux par deux avec des paquets de pétition demandaient à parler à leur député, et la majorité pour la ratification a basculé en majorité de rejet, faisant la démonstration de la souveraineté populaire, à la faveur d’institutions qui le permettaient. Cela a été pour beaucoup dans le coup d’État qui y a mis fin et y a substitué la 5è pour que cela ne risque pas se reproduire.
En effet, si on a beaucoup vilipendé la 4è, elle a cependant été la plus démocratique de notre Histoire, c’est pour cela qu’elle a été assassinée, et elle a pu l’être parce qu’elle n’était pas encore assez démocratique, notamment à la suite des réformes de 1951 qui avaient rétabli le bicaméralisme et abâtardi la proportionnelle en y introduisant les mécanismes politiciens du « panachage » et de l’ « apparentement ».
Il serait intéressant de ressortir des cartons le premier projet hérité de la culture de la résistance populaire et du programme du CNR et rejeté sous l’influence du discours de De Gaulle à Bayeux.