NOUS SOMMES en 1792

NOUS SOMMES en 1792

Lundi 22 juillet 2013, par Claude Grellard

Le 7 avril 2013, un référendum est organisé en Alsace, en application de la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010.

Les électeurs des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin sont appelés à répondre à la question : « Approuvez-vous le projet de création d’une Collectivité territoriale d’Alsace par fusion du Conseil régional d’Alsace, du Conseil général du Bas-Rhin et du Conseil général du Haut-Rhin ? »

La réponse est OUI à 57.65% pour l’ensemble des deux départements.
OUI à 67.53% dans le Haut-Rhin, NON à 55.74% dans le Bas-Rhin.

Sur un projet fait pour les réunir les deux départements ont donc pris des positions radicalement opposées, alors qu’au niveau des présidentielles ils étaient en phase ; des deux côté Nicolas Sarkozy recueillait un peu plus de 63% des suffrages.

La majorité requise étant le quart des inscrits, pour que le OUI l’emporte il devait recueillir un nombre de voix supérieur à 25% des inscrits dans chaque département. Or il ne recueillait que 20% pour l’ensemble, soit 15.9% dans le Haut-Rhin et 22.9% dans le Bas-Rhin.

Le projet fut donc rejeté. Le OUI l’eut-il emporté, de toute façon, la tenue de ce référendum était inconstitutionnelle. Cette initiative a d’ailleurs été qualifiée de « coup d’Etat ».

A noter que le taux d’abstention était de 64% sur le nombre d’inscrits, sensiblement du même ordre dans les deux départements.

Aux présidentielles le taux d’abstention était inférieur à 20%. Aux législatives il était de 45.41% au 1er tour et 49.79% au 2ème tour donc supérieur à la moyenne nationale (42.78% au 1er tour, 44.60% au 2ème).
Le taux d’abstention et la discordance des résultats montrent que les électeurs ne paraissent pas disposés à voir de sitôt s’effacer les départements au profit des régions.

Sur le plan national, alors qu’ils se prêtent encore assez bien au jeu de l’élection présidentielle, d’après les taux d’abstention dans les différentes consultations, ils marquent de moins en moins d’intérêt dans le choix de leurs représentants :

 55.6 % au 1er tour des élections cantonales en 2011
 53.6% au 1er tour des élections régionales en 2010
 59.5% au 1er tour des élections européennes en 2009
 42.78% au 1er tour des législatives en 2012, 49.79% au 2e tour

Peut être faut-il en voir l’une des causes dans le chevauchement de plus en plus embrouillé des multiples fractions de territoire et des structures administratives ou électorales qui leur sont associées. A tel point que certains évoquent l’image d’un « mille-feuilles ».

A la différence de l’Ancien régime où, par définition, le pouvoir du roi, d’origine divine, était incommensurable, dans cette République les différents pouvoirs que les citoyens délèguent à leurs représentants font l’objet d’une sorte de comptabilité en partie double où la volonté du peuple souverain s’exprime suivant deux types d’unités de mesure. Soit en nombre de voix par le jeu du suffrage universel, soit en mètres carrés en fonction de différents modes de découpage du territoire : régions, départements, arrondissements, cantons, communes, circonscriptions…

L’expérience alsacienne en est la parfaite illustration.

Pour en expliquer l’origine il convient de revenir cinq ans en arrière.
Le 12 juillet 2007, dans son discours d’Epinal, Nicolas Sarkozy se présentait comme le défenseur d’une « République irréprochable » et d’une « démocratie apaisée ».

Sans doute pensait-il que le Président d’une monarchie républicaine n’avait à rendre de compte à personne et que pour obtenir une « démocratie apaisée » il valait mieux que le peuple n’ait rien à dire. C’est ainsi que, le 4 février 2008 il obtenait l’adoption par le Congrès d’une loi visant à inscrire dans la Constitution un article 88-1 reconnaissant le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne tel qu’il résulte du traité de Lisbonne. Alors que dans le référendum du 29 mai 2005, le peuple français s’était prononcé à 54.67% contre ce même traité, présenté sous une autre forme. Mais le Président s’est bien gardé cette fois de proposer un nouveau référendum.

Le 22 avril 2008 il crée un comité pour la réforme des collectivités territoriales, placé sous la direction d’Edouard Balladur. Ce comité à pour mission de mettre un terme à la prolifération des échelons de décision et à la confusion dans la répartition des compétences.

Les travaux de ce comité aboutiront le 23 juillet 2008 à un 24ème bricolage de la Constitution portant surtout sur des points de détail. Et, dans un second temps, le 18 décembre 2010 à la loi de réforme des collectivités territoriales visant, d’une part, à réorganiser les collectivités autour de deux pôles, un pôle départements-région et un pôle communes-intercommunalités et, d’autre part, à créer des métropoles.

Comme si la démocratie n’était qu’une affaire d’aménagement foncier !
La volonté du peuple ne se mesure pas en mètres carrés.

La loi du 17 mai 2013 après avoir aboli cette loi, supprimé les conseillers territoriaux, s’est davantage intéressé aux personnes en disposant que les conseillers « départementaux » (nouvelle appellation des conseillers généraux) , seraient au nombre de deux par canton, chaque binôme étant composé d’un homme et d’une femme, et que, pour ce faire, le nombre de cantons serait réduit de moitié.

En guise de conclusion, imaginons le scénario suivant :

Nous sommes en 1792, ou dans une situation comparable. Nous formons le projet de fonder une République. A cet effet nous devons nous débarrasser de celle où nous vivons qui, à nos yeux, fait trop figure d’Ancien régime. Le fait est qu’en dépit du principe inscrit à l’article 2 de l’actuelle Constitution, où il est dit que les citoyens assurent eux-mêmes la charge de leur gouvernement, le pouvoir de substitution qu’ils ont mis en place a pris trop souvent la tournure d’une oligarchie placée sous l’autorité d’un semblant de monarque républicain élu au suffrage universel, doublé d’une aristocratie politique avant tout soucieuse de maintenir ses privilèges. Le peuple aurait tort de penser que ses représentants sont prêts à y renoncer. Pourquoi iraient-ils scier la branche sur laquelle ils sont assis, donc remettre en cause un système dont ils sont les produits, alors qu’ils occupent les meilleures places ?

Il ne faudrait pas trop compter non plus sur le semblant de « référendum d’initiative populaire » prévu dans l’article 11 de la Constitution, dont la promotion devrait être assurée, au moins, par 184 parlementaires.

Mais il nous est encore permis de rêver. Nous sommes en 1792. En compagnie de Condorcet nous avons, deux ans plus tôt, mis en place la « Société de 1789 » dont l’objet est « d’approfondir, de développer, de répandre les principes d’une Constitution libre, et, plus généralement, de chercher les moyens de perfectionner l’art social. »

Dans le projet de Constitution que nous proposerons le 15 février 1793 nous avons prévu que « les élections se feront au moyen de deux scrutins. Le premier, simplement préparatoire, ne servira qu’à former une liste de présentation ; le second, ouvert seulement entre les candidats inscrits sur la liste de présentation, sera définitif et consommera l’élection. »

Autrement dit, les citoyens désigneront eux-mêmes leurs représentants au lieu d’avoir, comme aujourd’hui, à les choisir, faute de mieux, dans des catalogues de grandes surfaces.

Revenons sur terre. Nous ne sommes plus en 1792. La « Société de 1789 » a pris la forme d’une association « Pour une Constituante ».

Qu’aurait-elle à nous proposer ?