JK GALBRAITH ET MARINE LE PEN

JK GALBRAITH ET MARINE LE PEN

Samedi 15 mars 2014, par André Fontaine, Tribune libre

Le texte d’André Fontaine ci-dessous, bien que datant de 2011, est assez intéressant pour alimenter le débat aujourd’hui.

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JK GALBRAITH ET MARINE LE PEN

Il est difficile de savoir si Marine Le Pen ou ses conseillers ont lu La science économique et l’intérêt général de JK Galbraith, mais on trouve, dans le virage politique qu’elle essaye de faire prendre au FN, comme des échos des analyses du célèbre économiste qui fut le conseiller de plusieurs présidents démocrates des États-Unis. Dans cet ouvrage de 1974, il propose un découpage de la société états-unienne en deux grands ensembles : le système planificateur et le système de marché.

Le système planificateur, comme son nom l’indique, planifie et contrôle les activités de la nation en éliminant toute concurrence. Il se compose de technostructures, sociétés anonymes aux mains de bureaucraties, avant tout gestionnaires, qui ont envahi tous les secteurs et même vivent en symbiose avec la haute administration de l’Etat.

A côté de ce système ou plutôt sous sa coupe, subsiste le système de marché au sein duquel les petites entreprises s’entre-déchirent pour les contrats de sous-traitance accordés par les technostructures, contrats léonins d’où le système planificateur tire ses bénéfices et ses privilèges en captant une partie de la plus-value que les sous-traitants doivent tirer des travailleurs de leur secteur.

En résumé, Galbraith écrit : la technostructure, alias la société anonyme, ”est en négociation avec sa force de travail, elle évite les conflits en acceptant des règlements dont elle répercute le coût sur d’autres secteurs de l’économie, la solution n’est sans doute pas parfaite. Mais ceux qui veulent trouver la lutte des classes traditionnelles dans le système de planification privée chercheront longtemps et comprendront bien peu de chose. “

Ce découpage, entrevu dès la fin des années “soixante” aux États-Unis, s’est amplifié et a envahi le monde entier. Comme Galbraith recommandant au gouvernement fédéral de répondre aux appels à l’aide du système de marché et de réduire son exploitation par le système planificateur, Marine Le Pen se présente en rempart des petites gens qu’elle a rencontrées dans son fief électoral de Henin-Beaumont. Nouveauté pour le FN, elle élargit sa sollicitude aux services publics et à leurs petits fonctionnaires. Comme elle continue à gérer le fonds de commerce poujadiste hérité de son père, elle prend en charge à la fois les classes populaires et la petite bourgeoisie du système de marché, c’est à dire l’ensemble de ce système. Elle se pose en adversaire résolu du système planificateur.

On peut dire qu’aujourd’hui, en France, les catégories sociales qui vivent du système planificateur sont représentées par l’UMP, parti des multinationales, et le PS, parti des cadres et salariés animant ces structures, sans oublier les écologistes et en y joignant les partis centristes. Ils se caractérisent tous par leur adhésion au libéralisme économique et naturellement à l’Union Européenne. A la gauche du PS, on trouve tous “ceux qui veulent trouver la lutte des classes traditionnelles dans le système de planification privée” et se condamnent ainsi à comprendre bien peu de chose.

Pour revenir aux deux cartes de Jacques Sapir, on peut dire qu’elles sont l’image de l’interdépendance des travailleurs et des petits patrons du système de marché par rapport aux décisions du système planificateur dont ils subissent la loi.

On doit ajouter qu’indépendamment de sa base sociale, le FN a fini par occuper la place de “parti des mécontents”. Grâce à sa sollicitude vis à vis du système de marché et son opposition à la classe dominant le système planificateur, il rencontre l’adhésion de ceux qui souffrent de conditions de sous-traitances déséquilibrées (paysans), de délocalisations (chômeurs ou déplacés), ... et il apparaît aux autres comme un recours aux décisions gouvernementales qui les défavorisent.

Le FN se trouve dans la même situation que le PC pendant les “trente glorieuses”. Ostracisé par tous les partis, ce dernier, à partir de sa base sociale ouvrière et de son opposition au capitalisme avait été le refuge électoral de tous ceux qui voulaient manifester leur rejet des gouvernants. Au fur et à mesure que sa base sociale se réduisait, il a tenté de devenir un parti de gouvernement. Il a signé ainsi l’accélération de sa décrépitude car il perdait la clientèle des mécontents. Telle fut l’habileté de Mitterrand de prendre des ministres communistes.

A condition qu’il rejette le ridicule Rassemblement Bleu Marine, glissement néfaste vers le culte de la personnalité et vers des objectifs individuels, l’audience du FN devrait se maintenir, tant les autres partis restent ligotés à leur soutien à l’Union Européenne, fer de lance du système planificateur. A long terme, il se heurtera à deux écueils :

- la réduction du système de marché français par le rejet des sous-traitances à l’extérieur de la France,

- la volonté de ses dirigeants de s’intégrer dans les jeux politiciens pour obtenir quelques places dans les rouages politiques et administratifs de la nation, ce qui lui fera perdre sa clientèle des mécontents.

André Fontaine, ancien élève de l’Ecole Polytechnique, fut ingénieur à l’IGN et militant CFDT. Auteur de deux livres :

Les socialismes, l’Histoire sans fin - Spartacus 1992

Mai 68 dans l’Histoire - L’Harmattan 2010