Citoyens, ne vous laissez pas avoir une fois de plus !
Jeudi 13 décembre 2018, par
Va-t-on retirer aux citoyens un de leurs biens les plus précieux : le droit à la parole ? On peut le craindre en lisant l’article publié par l’hebdomadaire Marianne sous la signature de François de Closets.
Ce super libéral économique, adversaire obstiné des services publics dans lesquels il voit depuis 60 ans des nids de privilèges, prétend répondre aux souffrances exprimées par des gilets jaunes qui se battent pour maintenir ces services dans les zones abandonnées. Pour renouer les liens entre élus et électeurs, il préconise le tirage au sort. On voit mal en quoi priver les citoyens du choix de leurs représentants, en s’en remettant au hasard, comblerait le fossé entre gouvernants et gouvernés. On voit mal en quoi cela rétablirait un lien -sauf à compter sur la mystérieuse sagesse d’une non moins mystérieuse main divine-, mais on ne peut qu’être frappé par le lien, réel celui-là- entre sa prise de position et celle de nombreux personnages médiatiques, à commencer par Natacha Polony, rédactrice en chef du journal qui a publié l’article de Closets.
Mais, plutôt que de nous en remettre aux médias – dont la clairvoyance ne saute pas aux yeux -, peut-être faudrait-il donner aux citoyens les moyens de mener sereinement la réflexion, principalement à partir des communes ou des quartiers. Tentons alors de clarifier les enjeux.
Que les représentants ne représentent plus les citoyens ne constitue pas vraiment une découverte. Nous le savons depuis que le vote des français, le 29 mai 2005, contre le traité constitutionnel européen a été bafoué. C’est d’ailleurs ce qui nous a conduit à appeler à l’élection d’une assemblée Constituante.
De nombreuses pistes sont aujourd’hui explorées. Certaines idées à la mode méritent d’autant plus qu’on y réponde que, favorisées par les médias, elles se présentent ensuite comme la réponse spontanée des réseaux sociaux.
Première idée, la solution à la crise de la représentation résiderait dans le Référendum d’initiative citoyenne (RIC). C’est une bonne idée qui, d’ailleurs, légitime le suffrage universel, même si les modalités demandent évidemment à être précisées. Mais cela ne règle pas l’ensemble de la question de la démocratie car il reste la question de la représentation comme l’illustre l’exemple suisse où cohabite instances élues et RIC. Mais, curieusement, nombre de partisans du RIC en France lie celui-ci à l’instauration du tirage au sort. En bref, « citoyens, on vous donne le RIC, pour le reste on supprime votre droit de vote ». Curieuse conception de liberté du citoyen.
Deuxième idée, largement évoquée par les partisans du hasard, il ne s’agirait que de désigner une partie seulement des représentants. Vieille ficelle politicienne, on commence par un peu pour obtenir beaucoup. Pourquoi une partie et pas tout ? On ne peut pas être « un peu » en démocratie. On n’est pas démocrate à temps partiel.
Troisième idée, plus subtile : on ne tire pas au sort n’importe comment, mais en tenant compte des catégories sociales. On considère alors que le citoyen est déterminé politiquement par sa place sociale. Cette idée est en fait vicieuse et, si on la suivait, on considérerait que Jaurès était à droite et Doriot à gauche ! Et que dire du bourgeois Karl Marx ?
Quatrième idée, encore plus subtile : pour ne forcer la main de personne, on ne tirerait au sort que parmi des volontaires. Mais alors, n’est-ce pas récréer une caste de bienheureux ? Et comment ne pas voir se profiler la main des fameuses « minorités agissantes » ?
Cinquième idée, toujours plus subtile, les tirés au sort, n’étant pas des professionnels de la politique -les considéreraient-on incompétents ? -, seraient placés face à des experts, plus ou moins contradictoires, qui leur expliqueraient la vie. Cette idée, pas tout à fait innocente, est largement portée par des personnes qui, curieusement, se voient bien dans le rôle des fameux experts. Et qui choisira les experts ? Faudra-t-il les tirer au sort ? Et qui peut croire que les experts sont des eunuques de la pensée, n’ayant aucune conviction de droite, de gauche ou du centre ?
Passons sur un discours, qui prend quelques libertés avec l’histoire, considérant qu’il faut revenir aux origines grecques de la démocratie, oubliant que les électeurs n’étaient alors qu’une fraction socialement homogène et qu’on votait lorsqu’il s’agissait des postes les plus importants. En effet, compte tenu des responsabilités qui sont les leurs, le choix de ceux qui nous représentent et qui nous gouvernent ne peut provenir que des électeurs qui les ont choisi après un débat libre et raisonné.
En fait, au-delà des obscurcissements pas innocents du tout, la question est simple. Le droit de vote est un bien public. Il appartient à chaque citoyen, qui l’exerce comme il l’entend. La crise actuelle de la démocratie n’est pas liée au suffrage universel, mais au fait que le système politique l’empêche de s’exprimer en ne présentant que des choix dans lesquels la majorité des citoyens ne se reconnaissent pas. On ne voit pas en quoi la chose serait différente avec des tirés au sort qui, d’ailleurs, n’auraient pas de compte à rendre à leurs mandants puisqu’il n’y aurait plus de mandants. Depuis toujours, le suffrage universel est un combat ; son adoption est le fruit d’une insurrection populaire en 1792, et ce n’est pas un hasard s’il est attaqué aujourd’hui par les tenants de l’ordre dominant (Terra Nova, Rosanvallon, Joffrin, De Closets, etc.).
Citoyens, le suffrage universel vous appartient et vous est volé depuis des années. Il est le signe de reconnaissance de votre participation à l’humanité. Il est un des attributs de votre souveraineté. C’est à vous et à vous seuls de le défendre.