L'enthousiasme constituant

L’enthousiasme constituant

Mercredi 23 février 2022, par André Bellon, Anne-Cécile Robert, Jean-Michel Toulouse

Voilà longtemps que nous dénonçons le silence de la plupart des responsables français face à la crise de régime. Nous ne pouvons donc que nous féliciter de voir soudain tant de prises de position à ce sujet. Encore faut-il clarifier.

Tel est le but de l’article signé par Anne-Cécile Robert, Jean-Michel Toulouse et moi-même dans la Revue Politique et Parlementaire et que vous trouverez ci-dessous et par le lien

Nous travaillons depuis plus d’une décennie pour l’élection d’une Constituante en France. Nous n’avons donc que des raisons de nous féliciter de l’avalanche actuelle de prises de positions évoquant un changement de Constitution et pour certaines une Constituante, aussi bien dans la presse que dans les débats qui agitent nombre d’associations. Mais, comme toujours, les enthousiasmes nécessitent clarification.

A quoi sert une Constituante ?

Bien évidemment, une Constituante a pour mission de redéfinir les institutions. Comment a-t-on pu mettre aussi longtemps à admettre la faillite du régime institutionnel en France ? Comment peut-on encore entendre tant de responsables français se féliciter de la stabilité politique alors que celle-ci se fait au détriment de tout contrat social ? En fait, c’est tout le système politique autant qu’économique et financier qui est en cause en même temps qu’un classe dirigeante hors sol. Un telle situation ne peut mener qu’au conflit et à une crise économique et sociale profonde. Mais rien n’y fait. Arcboutés sur leurs certitudes et leurs égoïsmes, les responsables développent un conservatisme qui cache sa violence dans les habits de la stabilité.

Dans un tel contexte, la Constituante n’est pas qu’un organe à vocation juridique destiné à redéfinir des institutions démocratiques. Elle est l’instrument autour duquel va se reconstituer le peuple en tant que corps politique souverain conformément aux principes républicains. Elle a aussi pour but de créer les conditions d’un nouveau contrat social. Et c’est là que se manifestent toutes les contradictions autour du concept même de Constituante.

Et le peuple dans tout cela ?

Il est frappant de voir à quel point les nouveaux convertis au changement de régime ne semblent jamais se poser la question pourtant simple : au nom de qui doit se faire la Constituante ? Au lieu de cela, ils définissent arbitrairement les acteurs du changement.

Ainsi, dans Libération du 17 janvier, Dominique Boulier et Rémi Lefebvre évoquent-ils l’idée d’une Constituante de gauche ou, du moins, destinée à unifier la gauche à la présidentielle. Ainsi des personnalité telles que Jacques Testart ou Dominique Rousseau appellent-ils à une convention de citoyens sur les institutions. Monsieur Rousseau dans le Monde du 22 février, expliquant qu’une Constituante n’est possible qu’en période de crise grave (qui en décide ?), souhaite « un comité de réflexion sur la Constitution, composé pour moitié de citoyens tirés au sort et pour moitié d’experts ». On retrouve, chez ces deux personnalités, cette idée générale où la présence de citoyens tirés au sort a surtout pour objet de légitimer le rôle des experts, proposition cohérente avec leurs réticences quant au rôle du peuple par le référendum. Elle fait fi de la communauté politique souveraine qu’est le peuple français en demandant au hasard de lui désigner des représentants et aux experts (qui les choisit ? le hasard ?) de les guider sur la bonne voie, c’est-à-dire celle qui aura leur préférence.

En fait, tout est là. Considère-t-on qu’il y a un peuple français ? Admet-on sa souveraineté ? Et si oui, comment peut-elle se manifester ?

De la souveraineté.

Nous sommes de toute évidence à un tournant. On peut faire semblant d’ignorer la crise profonde dans laquelle nous sommes plongés, mais cela n’empêchera pas les difficultés de s’accumuler.

Qui peut faire face aux défis ? Certes, la classe dirigeante considère en avoir les moyens et propose, de fait, un système politique basé sur une expertocratie censée proposer les remèdes. Dans un tel cadre, les individus ne sont que des gens participant à la mise en œuvre des choix techniques et non des citoyens.

L’élection de la Constituante est d’une essence différente. Elle est l’instrument nécessaire pour recréer le citoyen en tant qu’acteur et en tant que membre du corps politique souverain. Il est absurde de n’y voir qu’anarchie potentielle et absence de technicité.

C’est pourquoi, pour prendre tout son sens et remplir légitimement sa mission, il faut que l’assemblée constituante soit élue par tous les citoyens. Elle doit émaner des comités et assemblées constituants communaux et départementaux , instances dans lesquelles le peuple élaborera les nouvelles institutions. Elle permet ainsi le rassemblement des citoyens à partir des communes et des quartiers, embryon d’assemblées délibérantes dont la synthèse sera le peuple réuni autour de sa souveraineté. Le tirage au sort et la nomination concomitante « d’experts » seraient de véritables actes de défiance, voire des lettres de cachet contre les citoyens ordinaires. Personne évidemment n’empêchera les assemblées locales de recourir à tel ou tel expert pour éclairer ses débats. Mais le rôle de consultant ne doit pas se confondre avec celui de décideur.

Il importe de clarifier le débat et non de l’obscurcir en dévoyant les mots et les enjeux. La nécessaire reconstruction de la démocratie ne passe pas par des mini-publics se substituant au peuple réuni en assemblées délibérantes. Pas de démocratie bonzaï. Faire face aux défis nécessite la participation et l’action de tous.