Le "Village de Sophia" verra-t-il le jour dans les Alpes-Maritimes ?

Le "Village de Sophia" verra-t-il le jour dans les Alpes-Maritimes ?

Lundi 5 février 2024, par Claude Diot, Martine Donnette

Le grand centre commercial voulu à Sophia Antipolis fait un pas de plus vers sa construction. Si les travaux du chantier sont actuellement à l’arrêt, les services de la préfecture des Alpes-Maritimes ont émis un avis favorable à la nouvelle mouture du projet. Des associations ont déposé des recours et tenteront par tous les moyens de le faire avorter.

Quel est l’avenir du grand centre commercial "Village de Sophia" ? Difficile à dire. Depuis plus de dix ans, ce projet de pôle commercial qui doit voir le jour dans la technopole de Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes) n’a cessé de tanguer, tantôt porté par les élans d’optimisme de ses concepteurs, tantôt balayé par les protestations cinglantes de ses détracteurs.

Il y a quelques années, ce centre commercial géant répondait au nom d’Open Sky. Il devait accueillir du public dès l’année 2020 à Valbonne, dans la ZAC des Clausonnes, en bordure de l’autoroute A8 et à l’orée du parc départemental de la Valmasque.

Mais le sens du projet porté par la compagnie de Phalsbourg s’est étiolé au gré des vives contestations et des multiples recours dont il a fait l’objet.

Finalement, le site sera rebaptisé "Village de Sophia" à la fin de l’année 2021, après avoir été entièrement corrigé et revu à la baisse à la suite de tractations parfois musclées entre Philippe Journo, PDG de la compagnie de Phalsbourg, promoteur immobilier du centre commercial, et le maire de Valbonne fraîchement élu en 2020 Joseph Cesaro, qui n’a jamais caché vouloir prendre un virage écologique pour sa ville. Néanmoins, les deux hommes ont manifestement réussi à s’entendre.
Des travaux à l’arrêt

Oui, mais voilà, aujourd’hui, les travaux sont encore à l’arrêt. "Car les coûts de la construction immobilière ont explosé ces derniers temps", explique Raphaël Jolivet, membre de l’association MySophiaAntipolis, qui ne veut pas du "Village de Sophia".

Le futur pôle commercial de près de 80.000 m² est décrit, sur le site de son promoteur immobilier, comme la promesse d’"une expérience shopping unique, mêlant la nature, le numérique et un attachement au territoire local".

De quoi faire rêver les enseignes à la recherche de juteux locaux commerciaux... Pourtant, "ils n’ont même pas réussi à trouver 50% des futurs occupants des surfaces commerciales", affirme Raphaël Jolivet.

Selon lui, c’est aussi pour cette raison que les travaux soient au point mort. "Pas une seule dalle de béton n’a été posée", précise-t-il.

Si les travaux du chantier sont actuellement à l’arrêt, les services de la préfecture des Alpes-Maritimes ont émis un avis favorable à la nouvelle mouture du projet. • Séverine Neuquelman FTV

Une autorisation d’exploitation renouvelée

Mais les porteurs du programme ont fait un grand pas le 25 janvier 2024. En France, pour installer une surface de vente de plus de 1 000 m2, il faut une autorisation d’exploitation commerciale (AEC) délivrée par les autorités. Pour le "Village de Sophia", ex-Open Sky, la compagnie de Phalsbourg a obtenu cette autorisation le 16 octobre 2014.

L’ouverture du pôle commercial n’ayant jamais eu lieu, l’autorisation a périmé le 15 janvier dernier. La compagnie de Phalsbourg a donc déposé une nouvelle demande d’AEC auprès de la commission départementale d’aménagement commercial (CDAC). La composition de la CDAC est mixte et comprend 6 membres permanents (nommés par arrêté préfectoral) et 5 membres nommés en fonction des projets.

Ce 25 janvier, la CDAC a émis un avis favorable à la demande d’autorisation d’exploitation commerciale déposée par la compagnie de Phalsbourg dans le cadre d’une demande de permis de construire modificatif "portant diminution de la surface de vente de 42.959 m2 à 30.303 m2".

Ces dimensions modifiées correspondent à la nouvelle mouture du projet décidée à l’issue des négociations entre Joseph Cesaro et Philippe Journo.

Une artificialisation des sols interdite ?

Mais ce renouvellement d’autorisation d’exploitation commerciale a fait bondir les associations contre le projet. Elles tentent de démontrer que l’avis de la CDAC serait contraire à plusieurs points de droit.

Selon le Groupement des Associations de Défense des Sites et de l’Environnement de la Côte d’Azur (GADSECA), il y a un problème d’atteinte à l’environnement en vertu de l’article L752-6 du code du commerce, qui édicte dans son alinéa V "un principe de refus des autorisations d’exploitation commerciale pour les implantations ou extensions qui engendreraient une artificialisation des sols".

À la veille de l’examen de la demande de renouvellement d’autorisation d’exploitation commerciale de la compagnie de Phalsbourg, le GADSECA a, dans une missive du 15 décembre 2023, interpellé les services préfectoraux et la CDAC par rapport à cette disposition légale. Leur alerte n’a pas été fructueuse puisque l’AEC a été octroyée par la suite. Mais le GADSECA compte déposer un recours devant la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC).

Dans le "volet environnemental", le projet immobilier pourrait également se heurter à un article de la loi "Climat et Résilience" du 22 août 2021, qui explicite "l’interdiction d’implanter de nouveaux centres commerciaux sur des sols naturels ou agricoles" en ces termes :

L’interdiction de construction de nouveaux centres commerciaux, qui artificialiseraient des terres sans démontrer leur nécessité selon une série de critères précis et contraignants, sera la norme. Aucune exception ne pourra être faite pour les surfaces de vente de plus de 10 000 m² (...).

Loi "Climat et Résilience" de 2021

La surface de vente prévue du "Village de Sophia" est de 30.303 m².

Le recours du collectif En Toute Franchise

Une autre attaque des détracteurs du projet vise cette fois le permis de construire du centre commercial. Elle provient de l’organisation à but non lucratif En Toute Franchise, qui œuvre pour la préservation des commerçants artisans et contre la grande distribution. Selon l’association, l’avis de la CDAC du 25 janvier, qui valide la demande de modification du permis de construire du projet, est irrecevable.

D’après eux, le premier permis de construire du projet délivré le 4 novembre 2016 ne valait pas autorisation d’exploitation commerciale (AEC). Ils expliquent qu’avant une disposition de la loi Pinel de 2014, le permis de construire et l’autorisation d’exploitation commerciale étaient deux choses bien distinctes. Depuis 2014, l’autorisation d’exploitation commerciale doit être intégrée dans le permis de construire.

En faisant approuver par la CDAC sa modification de permis de construire, la compagnie de Phalsbourg se servirait donc, selon En Toute Franchise, de la nouvelle loi pour obtenir son autorisation d’exploitation commerciale par la même occasion, alors que son permis de construire initial n’avait pas valeur d’autorisation d’exploitation commerciale.

Ce que l’association dénonce comme un contournement de la législation au profit de la compagnie de Phalsbourg permettrait ainsi au promoteur immobilier de conserver son premier permis de construire sans avoir à en déposer un nouveau qui risquerait d’être légalement attaqué par des recours. Pourtant, "la réduction majeure des surfaces de plancher de 36% et l’aspect architectural totalement différent du permis de construire d’origine auraient nécessité un nouveau permis de construire", abondent les membres d’En Toute Franchise.

Ce 30 janvier, ils ont déposé un recours gracieux auprès du maire écologiste de Valbonne Joseph Cesaro et un recours hiérarchique auprès du préfet des Alpes-Maritimes.

Si ces derniers ne reviennent pas sur l’avis de la CDAC du 25 janvier, ils porteront, eux aussi, l’affaire devant la CNAC, l’instance de recours des commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC). "Cela prend plus de temps et se fera dans les prochains mois. Mais nous sommes prêts à aller jusqu’au bout, même si cela demande ensuite d’aller devant la cour administrative d’appel ou de saisir le Conseil d’Etat", confient Martine Donnette et Claude Diot, respectivement présidente et trésorier d’En Toute Franchise.

La confiance de Jean Leonetti

La compagnie de Phalsbourg n’a pas donné suite aux sollicitations de France 3 Côte d’Azur sur le sujet. La société est également l’un des promoteurs du projet immobilier tout aussi controversé "Iconic", un bâtiment de verre de 19.000 m² comprenant un hôtel 4 étoiles, des restaurants et de nombreux commerces.
Son chantier, en plein cœur de Nice, a, lui aussi, accusé de nombreux retards ces dernières années.

Du côté de la Communauté d’Agglomération Sophia Antipolis (CASA) – à laquelle la commune de Valbonne est rattachée et où doit se tenir le complexe commercial géant une fois terminé – son président Jean Leonetti a indiqué à France 3 Côte d’Azur jeudi 1er février que "ce projet "Village de Sophia" va aboutir".

On peut crier tout le temps, mais il y a des procédures [de recours] à mettre en œuvre. Elles n’ont jamais été mises en œuvre. Le maire Joseph Cesaro a un permis purgé de tout recours. Pour le mettre en œuvre, il a infléchi le projet. Je l’ai aidé à le faire, et je pense que ceux qui aujourd’hui disent "il ne fallait pas le faire", peut-être qu’ils auraient dû attaquer le projet en temps voulu, quand les prédécesseurs de M. Cesaro étaient en place.

Jean Leonetti, maire LR d’Antibes Juan-les-Pins. France 3 Côte d’Azur, 1er février 2024.

"Je rappelle que ce n’est ni mon projet, ni le projet du maire actuel. Le maire actuel, et je l’ai appuyé dans cette démarche, a diminué le nombre de mètres carrés et a introduit un certain nombre d’éléments culturels et sociaux. Et le projet va aboutir", répète le maire d’Antibes Juan-les-Pins pour conclure.

Une chose est sûre, le "Village de Sophia" n’a pas fini de faire parler de lui.