De la magie du droit
Jeudi 2 mai 2013, par
La démocratie devient incompréhensible si on écoute les brillants experts. Entre la démocratie mondiale, européenne, de proximité,...une chatte n’y retrouverait plus ses petits. Le texte de Anne-Cécile Robert ci-dessous participe à ce débat fondamental.
S’interrogeant en novembre 2012 devant le Cercle Condorcet de Paris sur la crise que traverse l’Union européenne, Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel propose une solution : adopter une « constitution européenne ». Il fait ainsi écho à d’autres porte-paroles de la conformité européenne pour imposer la disparition des souverainetés des différents peuples européens. Ainsi Jacques Attali qui, après avoir, lui aussi, proposé une Constituante européenne, envisage de faire surveiller les élus du suffrage universel par des gens « sérieux et compétents »….
Bien sûr, les plus subtils parmi les intellectuels de service font référence au peuple ; mais c’est pour mieux le faire disparaître. Ainsi Rousseau balaye-t-il d’un revers de main l’argument pourtant fondamental qui lui est opposé à savoir qu’il ne peut pas y avoir de constitution européenne puisqu’il n’y a pas de peuple européen. Selon lui, cette manière de penser fait l’impasse sur le pouvoir « magique » du droit qui fait « advenir » les choses. Il suffirait donc, selon lui, de doter l’Union d’une loi fondamentale pour que ses 500 millions d’habitants entament la marche vers leur destin commun, prenant soudainement conscience des liens qui les unissent. Et, bien sûr, cette loi générale ne serait pas soumise à l’acceptation des peuples un par un. Le référendum du 29 mai 2005 a fortement limité les ardeurs démocratiques de nos nouveaux démocrates.
A la décharge de Rousseau, c’est un travers commun à de nombreux juristes que d’imaginer qu’en créant du droit, on résout forcément les problèmes. Il s’agit là effectivement d’une pensée magique, le droit étant avant tout l’expression des rapports de forces à un moment dans la société. Le fonctionnement de nos institutions et les choix effectués par les majorités parlementaires l’illustrent abondamment.
Mais l’idée de Rousseau pose un problème de fond : comment faire adopter à des peuples qui n’en veulent a priori pas – on se rappelle des votes français et néerlandais en 2005 – la constitution qui est précisément supposée leur donner envie d’en avoir une ? C’est un peu la charrue avant les bœufs et on sent bien que le projet, s’il devait être suivi d’effets, ne se ferait pas sans contraindre la démocratie.
On pourrait s’arrêter à ce constat qui clôt quelque peu le débat. On ajoutera seulement que l’histoire démontre le contraire de la « magie du droit ». Dans la France de 1789, c’est parce que le sentiment national était là que les États généraux ont pu se transformer en Assemblée nationale puis en constituante. Idem aux États-Unis : c’est parce que les 13 colonies en lutte contre Londres avaient des intérêts communs à s’unir (s’émanciper de la tutelle anglaise) qu’elles ont adopté la Constitution qui scellait leur union et leur indépendance. Et les nouveaux États ont vu leurs citoyens voter pour l’adhésion à l’Union.
Sur le Vieux Continent, on est bien loin de telles situations et aucun magicien ne pourra rien y changer. L’Histoire a si souvent montré le peu d’enthousiasme des peuples à accepter les contraintes, même faites au nom des meilleurs sentiments.