Média et démocratie : De qui le quatrième pouvoir est-il le nom ?

Média et démocratie : De qui le quatrième pouvoir est-il le nom ?

Dimanche 3 mai 2015, par Gérard Jovené, Tribune libre

Nous avons déjà publié plusieurs articles sur la question de la Presse et sur ses relations avec la démocratie. Ci-dessous, voici un nouveau texte de Gérard Jovené, journaliste, sur ces questions .

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Média et démocratie

De qui le quatrième pouvoir est-il le nom : d’Apollon, de Mercure ou de Marianne ?


Tout d’abord tentons une définition du quatrième pouvoir.

Etant entendu que les trois pouvoirs traditionnels, ceux mis en avant par Montesquieu dans « L’esprit des lois » et qu’il estimait devoir être strictement séparé, étaient le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire.

Mais, et c’est un constitutionnaliste émérite puisqu’il s’agit d’un ancien président de la cinquième république qu’il faut citer à savoir François Mitterrand qui a déclaré dans une Lettre aux Français : « Montesquieu pourrait se réjouir qu’un quatrième pouvoir ait rejoint les trois autres et donné à sa théorie de la séparation des pouvoirs l’ultime hommage de notre siècle. »

Un 4ème pouvoir entre médiatisation et médiation, entre exécutif et législatif. Essentiel pour la démocratie pour la République dont le principe est " le gouvernement du peuple pour le peuple et par le peuple" art.2 de la Constitution.

Hommage gravé dans le marbre dans la Constitution de la 5ème République. En son article 34 : « la loi fixe les règles concernant : les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ; les sujétions imposées par la défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens... »

Un Président de la République, un article de la Constitution, le 4ème pouvoir placé aux cotés de la Justice, du Parlement et du Gouvernement, a décidément tous les honneurs.

Est-ce cependant, non pas mérité, mais simplement sérieux ?

En ne nous attardons toutefois pas sur la presse dite de divertissement qui n’est bien sûr pas sans pouvoir notamment dans les secteurs de la consommation et des potins, nous regarderons ce qu’il est convenu de nommer les médias –la presse écrite, la radio, la télévision et bien sûr internet- dont les fonctions les plus importante, celle encensée par Mitterrand et par la Constitution seraient celles d’informer les citoyens. Les médias sont l’agora, le forum où les citoyens et les citoyennes se forgent une opinion, choisissent l’option politique qu’ils porteront dans les urnes.
Inutile de préciser qu’il ne peut y avoir de « quatrième pouvoir » ainsi décrit que dans une démocratie.

Ainsi le directeur du « Monde diplomatique » Ignacio Ramonet explique : « la presse et les médias ont été pendant de longues décennies, dans le cadre démocratique, un recours des citoyens. »

Autrement dit pour qu’une véritable démocratie fonctionne il faut que la liberté de la presse soit sans contrainte notamment de la part du pouvoir politique. La presse le quatrième pouvoir, c’est le contre-pouvoir comme le dit Marcel Gauchet « qui n’a pas d’autre pouvoir que celui d’arrêter les pouvoirs. » Les trois autres. Et puis sans doute un autre plus sournois l’argent.

Le dieu tutélaire de ce quatrième pouvoir ce serait Apollon porteur, entre autres, de la vérité. Apollon porteur de la Lumière.

De la vraie Lumière ? C’est une question.

Son messager est Mercure – Hermès chez les Grecs, dieu du commerce, des marchands...et des voleurs. Un représentant multicarte disons du libéralisme. Dire du coup que dans notre monde occidental la presse qui s’achète et se vend se voue au seul culte de Mercure serait inexacte. La presse est polythéiste.

Le quatrième pouvoir ne pourrait-il pas au bout du compte, certes avec ces saints patrons, se glisser sous le bonnet de Marianne, laïc et républicain ?
C’est toute la question et tout le débat, souvent lancé par Daniel Schneiderman dans son billet quotidien Neuf Quinze, que je souhaiterais ouvrir ici : Apollon peut-il déjeuner avec Mercure ? La vérité peut-elle se commettre avec le commerce ? La lumière, avec le côté obscur de la force de vente ?

Même si la presse écrite bénéficie de la part de notre République de subventions via les tarifs postaux, le compte ne doit pas y être, puisque tout au moins pour la presse papier les difficultés financières sont patentes. Distributions compliquées, ventes en berne, les journaux se prennent dans les filets de la toile, du Net. La concurrence est rude et le journalisme un métier décrié.

Et pourtant ce papier imprimé, ces ondes bavardes, s’ils sont à vendre parce que désespérément déficitaires trouvent toujours des acheteurs.

Des mécènes me direz-vous.

Voyons donc qui sont ces investisseurs qui, à priori, ne se prosternent pas devant Apollon.

A Paris d’abord :

Le Figaro, certes bénéficiaire, appartient à Serge Dassault qui l’a racheté au groupe Hersant. A ce fleuron libéral conservateur il faut ajouter l’hebdomadaire Valeurs actuelles. Sans doute un pouvoir supplémentaire pour le sénateur de l’Essonne. L’an dernier sa diffusion ne dépassait pas les 320.000 exemplaires quotidiens. Celle de Valeurs actuelles progressait pour dépasser les 100 000 exemplaires.

Autre adorateur supposé d’Apollon le propriétaire du Point François Pinault un magazine qui permet au propriétaire de Pinault Printemps -La Redoute de ne pas payer d’impôt sur la fortune.

Autre mécène du quatrième pouvoir Bernard Arnault heureux propriétaire des Echos mais aussi de Louis Vuitton Moët Hennessy.

Et puis Arnaud Lagardère, que Nicolas Sarkozy considère comme son frère, héritier de son père est avec sa compagne Jade Foret, le patron certes dissipé de Elle, de Paris Match, du JDD, de Télé7jours, d’Europe1 de Virgin radio ,de la télévision Gulli et de quelques autres titres...

Plus discrètement dans le silence de ses voitures électriques Bluecar Vincent Bolloré contrôle Canal+, la chaine d’info continue Itélé et une flopée de filiales et puis et surtout Vivendi , qui s’est dégagé de Numéricable, qui est propriétaire entre autres, ce qui va ravir les mélomanes, de Deutsche Grammophon.

Son yatch Paloma est célèbre pour avoir hébergé Nicolas et Cecilia en mai 2007 ! Il est toujours possible de le louer tarif basse saison : 150 000€ pour une semaine !

BFM la chaine d’info continue qui, comme on dit, cartonne en ce moment, même avec la radio TMC font quand même figure de nain dans le monde du « quatrième pouvoir ». Elles appartiennent majoritairement à Alain Weill un homme d’affaires qui d’achats en reventes accède au pouvoir médiatique.

A Paris toujours il ne faudrait pas oublier le Bayard Presse le groupe de presse catholique propriété depuis sa création il y a un siécle et demi de la congrégation des Augustins de l’Assomption qui publie La Croix, le Pèlerin , Notre temps Terre sauvage et une flopée d’autres titres pour la jeunesse et les croyants, mais pas seulement...Il y dans tout ce papier une révérence au quatrième pouvoir.

Le Monde qui après divers soubresauts éditoriaux et financiers a fini par être racheté par le trio Pierre Bergé, Xavier Niel propriétaire du fournisseur d’accès internet Free et détenteur de plusieurs participations dans les médias et Matthieu Pigasse ancien administrateur civil au ministère des finances aujourd’hui directeur de la banque Lazard. C’est actuellement un groupe de presse où l’on retrouve entre autres le Nouvel Observateur, Télérama, Courrier international, Le Monde diplomatique. Bref un pouvoir.

Toujours à Paris le conglomérat en cours de constitution autour de Libération qui a pour Mercure, mais pas seulement, les yeux de Chimène fait émerger un homme d’affaires Patrick Drahi. Ce nom est apparu lors de l’achat du fournisseur d’accès internet SFR par Numéricable. Drahi qui a la double nationalité française et israélienne propriétaire de la chaine d’info israélienne en continu I 24 et de quelques petites télé françaises -groupe MCS- vient de racheter après Libé, l’hebdomadaire l’Express.

Avec l’embonpoint, un groupe de presse ne peut plus être une danseuse !
Il n’y a qu’à se pencher sur la presse quotidienne régionale. Premier propriétaire : une banque le Crédit mutuel qui a fait plus fort que le président Hollande en rachetant tous les titres d’Alsace, de Lorraine, de Franche Comté, de Bourgogne et de Rhône Alpes. Ouest France c’est la Bretagne, la basse Normandie et les pays de la Loire, sous le regard du propriétaire la famille Hutin, vient ensuite La Dépêche de Toulouse qui propriété de la famille Baylet vient de racheter Midi Libre de Montpellier confirmant au moins médiatiquement la fusion des régions Midi Pyrénées et Languedoc Roussillon.

Donc, à première vue, le quatrième pouvoir ne serait que celui des boutiquiers. Chacun des investisseurs rêve de son hypermarché multimédia ou se complètent dans les rayons le papier les ondes et le numérique. C’est la tendance. Pouvoir offrir le maximum de surfaces tangibles ou virtuelles pour engranger le maximum de publicités payantes.

Mais il y a des petits signes qui interpellent. Exemple récent, les menaces de suppression des campagnes de publicité proférées par la banque HSBC envers les média qui en feraient une couverture critique, les critiques de Pierre Bergé actionnaire du Monde envers les journalistes qui ont enquêté sur les comptes suisses de cette même banque...L’interaction entre l’annonceur et l’organe de presse est discrète mais bien réelle. L’autocensure du journaliste, la censure de l’annonceur.

Pour l’avoir éprouvé certes il y a un certain temps dans une vie antérieure lors d’un reportage. Un reportage sur invitation à l’usine de produits de la pomme de terre Vico à Vic sur Aisne. Gros annonceur du journal professionnel « la France alimentaire » en 1971 : Au cours de la visite je constate que l’évacuation des eaux vers la rivière à la sortie des ateliers est noire. Je pose la question au cadre qui nous accompagnait. Réponse « Nous n’avons pas encore installé le traitement des effluents mais c’est imminent. En tous cas ces rejets ne sont pas polluants. » J’écris cela dans mon reportage : une demi page d’un journal grand format. Je suis convoqué le lendemain de la parution de l’hebdo par le rédacteur en chef : Vico supprimait sa campagne de publicité à cause de ce détail.

On peut imaginer les pressions actuelles des annonceurs sur la presse !
Pour avoir critiquer la vente des avions Rafale Le Monde n’a pas été invité au Caire à la signature du contrat.

Autres exemples : pour lancer un nouveau modèle les constructeurs automobiles invitent pour des essais les journalistes dans une région touristique. Les papiers présentant la voiture sont toujours favorables voire élogieux. Il y a une récompense publicitaire pour le journal ! Même lorsque l’envoyé spécial de l’Humanité pour un modèle haut de gamme critique le manque de place dans le coffre.

Le commerce n’est pas l’ami de la vérité crue. Sa lumière est froide, électrique. Il provoque des zones d’ombre !

C’est là que le journaliste -c’est un métier !- est invité à vérifier. En ne demandant pas seulement si Monsieur Martin est mort.

Vérifier plutôt deux fois qu’une ce qu’on lui dit, surtout si c’est l’attaché de presse qui cause. Vérifier ce qui se trouve derrière la façade, surtout si celle-ci est rutilante.

En n’oubliant jamais que généralement "vérité en deçà des Pyrénées erreur au-delà" comme l’écrivait Blaise Pascal.

Ce qu’un peu plus tard disait aussi Nicolas de Condorcet : "Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à leur raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de commande seraient d’utiles vérités ; le genre humain n’en resterait pas moins partagé entre deux classes, celles des hommes qui raisonnent et celles des hommes qui croient, celles des maîtres et des esclaves."

Rapport et projet de décret relatifs à l’organisation générale de l’instruction publique. Présentation à l’Assemblée législative : 20 et 21 avril 1792
Car l’argument de la raison adjoint à celui de la vérité, n’a que peu de valeur aux yeux du « quatrième pouvoir ». Celui-ci agit dans l’immédiat, non pas dans la durée, durée nécessaire à la réflexion, à l’exercice de la raison. La presse qu’elle soit écrite, audiovisuelle et bien sûr numérique, vit dans l’instant et dans la concurrence. C’est une matière volatile. Qui jongle avec la vérité, avec les faits. Qui se télescopent. Le quatrième pouvoir au 21ème siècle tweet.

Normal puisque les trois autres tweet eux aussi !

De là à dire qu’il n’y a plus qu’un pouvoir, celui des médias, ce serait exagéré.

Quoique ! Il suffit de se souvenir de Nicolas Sarkozy réagissant soit par un commentaire, soit pas la promesse d’une loi au moindre fait divers. Repris en cela par son successeur avec toutefois moins d’entrain et parfois plus d’à propos.

La petite phrase traquée, tronquée, par les stagiaires du bandeau dans les télévisions d’informations continues sert d’argument au monde politique pour provoquer la polémique et lancer le débat. Tout cela fait du temps d’antenne, des flopées de « réactions » et autres « commentaires » sur les multiples sites internet.

Le tout suivis par les algorithmes qui justifient la manne des annonceurs.
On remarquera la perplexité d’Apollon devant le sourire en coin de Mercure.
Dominique Schnapper, sociologue, directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales écrit :

« ... L’univers virtuel renforce l’immédiateté, avec tout ce qu’elle implique de non- réflexivité. De plus, c’est un univers sans contrôle social. Or l’observation montre qu’il conduit à la licence plutôt qu’à la liberté. La détestation de l’autre, l’interprétation obsessionnelle des événements en termes de complot, la volonté de nuire s’y déploient. Le meilleur s’y exprime parfois, et, plus souvent, la haine et le mensonge. Il faudrait idéalement compter sur l’autocensure pour que l’univers virtuel devienne, ce qu’il pourrait être techniquement, un lieu de liberté. Mais on ne semble pas aller dans cette voie. Et pourtant il faut transmettre les valeurs de la République. Nous n’avons pas d’autre idée pour organiser humainement les sociétés humaines."

C’est une expérience vécue dans des temps qui frôlent déjà l’Histoire avec un grand H : stagiaire estival à la locale de l’Est Républicain, je suis envoyé avec le photographe raconter l’arrivée d’une centaine d’ouvriers marocains engagés pour six mois à l’usine Peugeot de Sochaux pour la peinture des carrosseries. Ceux-ci étaient logés dans l’internat d’un collège privé désaffecté, dans un petit village -petit à l’époque- du Territoire de Belfort : Bourogne.

Rencontre, interview des Marocains et des villageois et reportage photo..
Réflexion de la jeune vendeuse de la boulangerie : « Ils sont très beaux. Il y aura un peu plus d’animation ici ! »

Le chef d’agence coupe cette phrase et m’en explique la raison : « Cette jeune fille va entendre cette réflexion toute sa vie ! Elle, restera dans le village, les Marocains partiront. »

C’était en 1969 et je pensais que ce propos pouvait équilibrer un peu la majorité des propos déjà méfiants sinon hostiles du « stylo trottoir ». C’était il y a 45 ans !

Cela dit j’ignorais que l’embauche par Peugeot de ces intérimaires marocains se justifiait, si l’on peut dire, par les délais d’installation de tunnels automatiques destinés à succéder à la peinture manuelle extrêmement toxique. Nous étions dans une période de plein emploi !
L’Est Républicain n’a jamais envoyé de journaliste enquêter sur la raison profonde de l’embauche de ces Marocains.

La presse régionale préfère les faits divers ! Avec en ce moment un penchant particulier, gendarmerie et police en sont les fournisseurs, sur les prénoms musulmans.

Il est vrai que la presse ne fait que rapporter le quotidien. Et il est sans doute pertinent ici de se souvenir de ces propos d’Albert Camus jeune journaliste à Alger Républicain. C’était en 1939 :

« En face de la marée montante de la bêtise, il est nécessaire également d’opposer quelques refus. Toutes les contraintes du monde ne feront pas qu’un esprit un peu propre accepte d’être malhonnête. Or, et pour peu qu’on connaisse le mécanisme des informations, il est facile de s’assurer de l’authenticité d’une nouvelle.

C’est à cela qu’un journaliste libre doit donner toute son attention. Car s’il ne peut dire tout ce qu’il pense, il lui est possible de ne pas dire ce qu’il ne pense pas ou qu’il croit faux. Et c’est ainsi qu’un journal libre se mesure autant à ce qu’il dit, qu’à ce qu’il ne dit pas. Cette liberté toute négative est de loin la plus importante de toutes si l’on sait la maintenir. Car elle prépare l’avènement de la vraie liberté. En conséquence un journal indépendant donne l’origine de ses informations, aide le public à les évaluer, répudie le bourrage de crâne, supprime les invectives, pallie par des commentaires l’uniformisation des informations et en bref sert la vérité dans la mesure humaine de ses forces. Cette mesure, si relative qu’elle soit, lui permet du moins de refuser ce qu’aucune force au monde ne pourrait lui faire accepter : servir le mensonge. »

L’occasion d’évoquer la quasi-unanimité de la presse française précédant le référendum de 2005 sur la Constitution européenne. Elle était favorable au oui. Résultat : un rejet avec 54,68% de non. On connait la suite. Suite qui explique en partie la fameuse unanimité éditoriale. C’est que Mercure le libéral, le commerçant est le dieu tutélaire du système et donc de la presse.
Une presse qui sollicite ses journalistes les plus –disons- conformes pour argumenter.

Au passage ils honorent quand même Apollon puisqu’ils ne dérogent pas à une vérité, celle qu’ils ont apprise, celle qu’ils côtoient. Evidemment ils sont passés à côté de Marianne, la République. Une Marianne qu’ils ne connaissent que par sondages interposés. Sondages qui sont, rappelons-le , des clichés instantanés pris avec une focale variable, un éclairage d’appoint, et d’un point de vue précis...Mais le quatrième pouvoir adore disserter sur ces photos qui sont des produits d’appel, des prêts à penser.

Et pourtant comment le peuple, les citoyens pourraient-ils forger leur opinion et l’exprimer par le suffrage universel sans informations ? Sans ce quatrième pouvoir qui devrait permettre d’évaluer l’activité de l’exécutif, du législatif et du judiciaire ?

Il se trouve que dans ma vieille maison de famille au pied des Vosges, au pied de l’ancienne frontière de 1870, il y a quelques numéros du Petit Parisien datés de juillet 1914 et d’autres de juin 1940. Certes il s’agit d’époques historiques mais le contenu de ces journaux populaires est riche, complet en matière nationale comme internationale. La presse écrite, tout au moins en 1914, était la seule source d’information. Forcément nationale, pour ne pas dire nationaliste.

Aujourd’hui les journaux télévisés ont pris beaucoup de place au journal papier.

Et la radio considérée comme le média le plus crédible, selon un sondage certes, se faufile auprès d’internet et ses divers sites d’informations. Surtout auprès de la jeune génération.

Mais favorable ou hostile, directement ou indirectement, l’information diffusée provient encore et toujours d’un des trois pouvoirs, le plus souvent d’un seul : l’exécutif. Présidence, Matignon et les ministères ont un service de presse qui sollicite les media. Tout comme l’opposition il est vrai.
Ceci s’ajoute aux relations personnelles que les parlementaires peuvent entretenir avec les journalistes. Ils savent qu’avec l’avènement des portables il est judicieux, et électoralement rentable, de laisser son numéro de téléphone au reporter de BFM, d’I télé de LCI,... qui se feront un devoir d’appeler. Et de rappeler, si l’intéressé est un bon interlocuteur : clair, concis éventuellement provocateur. C’est ainsi que des parlementaires, mais pas seulement, deviennent des habitués des plateaux télé. Des acteurs, de talent de préférence, voilà ce que cherche l’information spectacle, la société du spectacle. Avec ses « Talk-show », ses débats de délégués partisans appointés pour leur prestation....

On expliquait dans un numéro du Nouvel Observateur, il y a quelques mois : « Cofondateurs de la Droite forte, Geoffroy Didier et Guillaume Peltier ont joué cette carte au maximum, au point d’être qualifiés d’ « apparatchiks médiatiques » par leurs détracteurs.

Evoquant « un changement de logiciel que personne n’a vu venir » – « les barons » moins que les autres –, Geoffroy Didier s’émerveille encore de l’audience qu’il peut y glaner :

« Quand on passe à 23 heures sur BFM, cela touche près de 200 000 personnes. Soit trois stades de France… Jamais je ne pourrais toucher autant de gens en un meeting ! »

Les télés mais aussi les radios aujourd’hui filment toutes leurs interviews et leurs émissions de débats. Pour être consulter sur ce qu’il est convenu de nommer, traduction de l’américain, les réseaux sociaux.

Parlés ou filmés. Les messages brefs et saillants sont plus appréciés que d’autres.

Sur internet c’est le titre accrocheur éventuellement décalé qui sera consulté. Mais ce sera surtout l’image, le clip. Le quatrième pouvoir n’a plus le temps.

Et c’est ici lorsque l’on comptabilise le temps d’intervention de la gauche, de la droite, des extrêmes de gauche, de droite que l’on peut dire qu’il n’est plus Marianne. Un peu Apollon, beaucoup Mercure.

Et il faut tout de même relativiser le résultat de cette mises en abimes ABIMES de l’information sur Internet.

L’omniprésent « Google+ » comptabilise les consultations des publications postées sur son site international. Si une info de « Mediapart », de « France tv info » voire de l’ « AFP » y totalisent généralement quelques dizaines de visiteurs et de commentaires avant de rapidement disparaitre dans le tonneau des Danaïdes. Les photos de « bimbos » dénudées dépassent, elles, allègrement les 1000 visites.

Les publications du Front National et de ses affidés aisément décelables sont un peu plus consultées que par exemple celles du gouvernement français, mais on peut penser qu’elles s’autonourrissent des commentaires des militants frontistes chargés de faire du chiffre !. Comme d’autres militants. Sur d’autres sites. Le quatrième pouvoir « new-look », pourrait-on dire, ne convainc que les convaincus ! Mais il impressionne.

Internet c’est le nouveau bistrot du commerce. Avec des consommateurs qui, souvent, ont forcé sur les petits blancs.

Ainsi dans un ouvrage intitulé « les journalistes et leur public : le grand malentendu » Jean Marie Charon explique : « Quiconque a participé à l’un des nombreux débats organisés sur la question des médias connaît la violence émotionnelle qui soulève tout public (populaire, cultivé, jeune et vieux, etc.) contre le système d’information.

Cette exaspération est parfaitement identifiée par une série de sondages qui, depuis 20 ans, visent à saisir la confiance accordée à ceux qui fabriquent l’information.

Autant l’annoncer d’emblée : elle est faible et n’a cessé de se dégrader. Les journalistes sont incriminés de nombreux maux.

De se polariser sur des sujets éloignés des préoccupations des gens. De fouiller dans la vie privée au risque de porter préjudice aux personnes.
De fabriquer de l’à-peu-près sans prendre le temps de la vérification. D’embrouiller faits et commentaires.

De proposer une hiérarchie de l’information sans lien raisonnable avec l’importance des sujets, par exemple en lançant les faits divers comme produits d’appel.

Surtout, ils sont suspectés d’être sous l’influence des politiques, et encore bien davantage, notamment dans la période récente, sous la domination de groupes financiers. »

Bref de cacher la vérité.

Rien de tout cela n’est totalement faux, en particulier le dernier des reproches qui, il est vrai, s’applique aux média plutôt qu’au medium. Nous l’avons vu au début de cette planche. Et les conséquences de cette méfiance se traduisent en baisse d’audience. Tous supports confondus.

Cependant il faut admettre qu’Internet aux cotés de la presse écrite et audiovisuelle, permet au « happy few » de disposer d’une revue de presse exceptionnelle, d’accéder à un éventail d’informations, de point de vue, nationaux et internationaux qui contribuent à la recherche de la vérité.
Voire !

Il n’en reste pas moins que le quatrième pouvoir - dans sa multiplicité, sa diversité- ne sait plus tellement à quel saint se vouer.

Peut-être, à travers l’émotion qu’il cultive, à Mercure et à son libéralisme.
Avec tout de même quelques incantations, on ne sait jamais, à Apollon la vérité compagnon de la raison et à Marianne emblème de la loi républicaine.
Un panthéon, certes bancal, mais où s’exerce finalement, tant bien que mal, le quatrième pouvoir.

Alimentant le nécessaire débat démocratique.

Même si la saturation de l’information monocolore des mass media, hiérarchisée selon les même codes et alimentée par les mêmes sources, finit par modeler les esprits.

Le moment toutefois de constater sans illusions avec Camus : « ... la vérité et la liberté sont des maitresses exigeantes puisqu’elles ont peu d’amants. »

En ajoutant cette pensée agnostique, sinon athée, que j’aime à répéter : elle est signée d’Hannah Arendt : « Comme la pensée idéologique est indépendante de la réalité existante, elle considère tout ce qui est factuel comme un artefact et par conséquent elle ne connait plus de critère fiable permettant de distinguer vérité et fausseté. »

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