DE LA RICHESSE DES NATIONS A LA RICHESSE DES ORGANISATIONS

DE LA RICHESSE DES NATIONS A LA RICHESSE DES ORGANISATIONS

Lundi 26 décembre 2022, par Pascal Geiger

Dans le cadre du colloque "Quel avenir juridique pour l’entreprise" organisé le 29 novembre 2022 à l’Académie de géopolitique de Paris, vous trouverez ci-après l’intervention de Pascal GEIGER.

SOMMAIRE

1. L’ENTREPRISE : SUJET DE DROIT, OBJET DE CONVOITISE !

2. FAUT-IL PARTAGER LE POUVOIR POUR DIMINUER LA CONFLICTUALITE SOCIALE AU SEIN DE L’ENTREPRISE ET AMELIORER AINSI SON EFFICACITE ECONOMIQUE ?

3. QU’EST-CE QUE L’ENTREPRISE SINON UNE MACHINE A CASH POUR UNE POIGNEE D’ORGANISATIONS !

4. DE LA NECESSITE DE RETABLIR LA CHAINE DE VALEUR REPUBLICAINE !
DE LA RICHESSE DES NATIONS A LA RICHESSE DES ORGANISATIONS

1. L’ENTREPRISE : SUJET DE DROIT, OBJET DE CONVOITISE !

Réformer l’entreprise ! Voilà une injonction récurrente souvent entendu tout au long de ma carrière professionnelle.

La première fois, ce fut en février 75, lors de la remise à Valéry Giscard d’Estain du rapport Sudreau, résultat du travail d’une commission composée de 3 chefs d’entreprise, 3 syndicalistes et 4 personnalités de la société civile.

La grève générale de 68 qui occasionna quelque 150 millions de journées non travaillées était encore fortement ancrée dans les esprits des responsables politiques.

Il fallait, à tout prix, apaiser la conflictualité entre le monde patronal et le monde ouvrier.

Cette commission qui écarta d’emblée la cogestion à l’allemande chercha, toutefois, à favoriser la participation des travailleurs à la vie de l’entreprise et tenta de dépasser la prégnance de la société capitaliste en proposant, entre autres, la création d’entreprises sans but lucratif, la société des travailleurs associés, les sociétés de gestion participative, la revalorisation de l’actionnaire minoritaire et l’instauration d’un bilan social (dans les entreprises).

Elle ne put, toutefois, se départir de la vision dominante confinant l’entreprise à un rôle d’instrument économique au service des marchés ; instrument dont il importait, cependant, de renforcer la sécurité juridique.

Nous savons tous que l’entreprise nait de la volonté des associés et qu’une fois instituée, elle acquiert sa pleine autonomie caractérisée par une personnalité morale, un objet propre et un intérêt social distinct.

Cependant, ce cadre juridique formel ne répond pas à la question que se posent toujours les acteurs économiques : A QUI APPARTIENT REELLEMENT L’ENTREPRISE ?

Qui en détient concrètement le pouvoir, celui d’édicter des règles et de les faire appliquer ?

Les actionnaires ou les investisseurs financiers, les créanciers, les salariés ou les dirigeants, voire les hommes et les femmes politiques ?

Chacun y voit son entreprise, sans que personne n’en soit fondamentalement propriétaire.

Ce cadre juridique induit également une interrogation complémentaire tout aussi importante : QUELLE FINALITE POURSUIT L’ENTREPRISE ?

Nous pensons tous que l’objectif final de l’entreprise est de favoriser la création de richesse.

Là également, cette affirmation n’interdit pas à chaque partie prenante d’avoir sa propre perception de la richesse ainsi créée : des salaires dignes pour les travailleurs, des dividendes confortables pour les actionnaires, des stocks options encourageantes pour les dirigeants, des emplois créés ou maintenus pour le pouvoir politique.

Deux interrogations simples, en apparence, mais qui suscitent autant d’opinions que de personnes concernées.

Pour l’heure, et ce quelle que soit la manière de l’aborder, l’entreprise a toujours fait l’objet d’un rapport de force entre les deux entités se revendiquant comme les principaux acteurs de la richesse créée par son activité et se percevant, ainsi, comme ses bénéficiaires légitimes pour ne pas dire exclusifs : LES APPORTEURS DE CAPITAUX VS LES APPORTEURS DE TRAVAIL. DE LA RICHESSE DES NATIONS A LA RICHESSE DES ORGANISATIONS.

2. FAUT-IL PARTAGER LE POUVOIR POUR DIMINUER LA CONFLICTUALITE SOCIALE AU SEIN DE L’ENTREPRISE ET AMELIORER AINSI SON EFFICACITE ECONOMIQUE ?

Près de 50 ans plus tard, peut-on enfin espérer dépasser la prégnance de la société capitaliste en favorisant le partage du pouvoir entre ces deux opposants pour diminuer la conflictualité sociale au sein des entreprises et améliorer, ainsi, leur efficacité économique ?

Pour cela, il convient, au préalable, de répondre à ces deux questions :

- le volume actuel de la conflictualité sociale dans les entreprises françaises est-il vraiment un frein majeur à leur efficacité économique ?

- le principe de la codécision est-il réellement une réponse pertinente pour diminuer cette conflictualité et en améliorer ainsi leur efficacité ?

Concernant le lien entre conflictualité sociale et perte d’efficacité économique, si l’on se fie aux statistiques publiées récemment par la DARES, 1,2% des entreprises de plus de 10 salariés a connu, en 2020, un ou plusieurs arrêts collectifs de travail contre 2,5% en 2019 soit une diminution de 52%.

Pour mémoire, ces arrêts collectifs de travail ne concernaient que 18% des salariés.
En fait, les grèves sont en repli dans tous les secteurs, ainsi que dans les grandes entreprises et ce depuis plus d’une décennie. Les Journées Individuelles Non Travaillées ne représentaient plus que 67 jours pour 1000 salariés contre 161 en 2019. Soit une diminution de plus de 58%.

A croire que la phrase polémique prononcée en 2008 par Nicolas Sarkozy : « désormais, quand il y a une grève personne ne s’en aperçoit » finira par se réaliser.
Cependant, la conflictualité peut prendre d’autres formes que la grève. Elle peut en effet se traduire par la distribution de tracts ou de pétitions, des débrayages, des manifestations, ou encore par des arrêts individuels de maladie, voire par ce que les DRH nomment, aujourd’hui, le « quiet quitting », la démission silencieuse.

Autant de formes que de moyens pour perturber le fonctionnement de l’entreprise.
Mais la plus importante perturbation éprouvée par les entreprises fut, en 2019 et 2020, la pandémie.

En l’absence d’études exhaustives sur ce lien entre conflictualité sociale et perte d’efficacité économique, il est difficile d’établir, pour l’heure, une relation directe irréfutable. Cependant, si l’on se réfère à l’évolution du CAC 40 depuis sa création en décembre 1987, on constate que celui-ci a été multiplié par 2,6 avec un rendement moyen de 3,6% (hors inflation).

Les deux années où celui-ci a dévissé sont dues (en 2000) à la bulle internet et (en 2008) à la bulle immobilière aux USA.

Ainsi, si les conflits sociaux peuvent être révélateurs d’une situation économique, industrielle ou financière problématique voire désastreuse pour une entreprise, ils en sont rarement à l’origine.

Voilà pour ce qui concerne la relation entre la conflictualité sociale et l’efficacité économique.

Concernant le principe de la codécision entre apporteurs de capitaux et apporteurs de travail, il importe de rappeler, au préalable, que l’entreprise est une organisation de pouvoir (1).

Cependant, les entreprises et leurs représentants ont progressivement appris, parfois à leurs dépens, la nécessité, non de le partager, mais de l’étalonner au regard des attentes, revendications ou exigences de leurs salariés.

C’est ainsi que s’est progressivement élaborée aux cours du siècle précédent la pratique du dialogue social et de son corollaire : les conventions collectives.
Pour faire court, j’opposerai, ici, deux conceptions - allemande et française - de la concertation au sein des entreprises et par conséquent de leur manière différente d’aborder la codécision.

Car, il est évident que le fait même de signer un accord ou une convention collective revient à partager la décision sur l’objet de la négociation.

Les hommes et les femmes politiques français mettent souvent en avant la qualité du dialogue social allemand pour souligner la faillite des partenaires sociaux français.
Leurs évolutions s’inscrivent, cependant, chacune dans des contextes historique, culturel et sociologique qui leur sont propres, rendant naturellement impossible leur transposition.

En Allemagne, les conditions de travail et les salaires relèvent de la seule compétence des partenaires sociaux, qui négocient branche par branche.
Syndicats et fédérations patronales sont des partenaires.

Ils se connaissent et se reconnaissent.

Ils fonctionnent en tandem, représentant les intérêts des deux faces d’une même médaille : les employeurs et les salariés.

Il n’y a pas d’opposition idéologique entre un patronat qui serait de droite et un mouvement syndical qui serait de gauche.

Leurs intérêts sont complémentaires.

Au sein l’entreprise, seuls les salariés siégeant au conseil d’entreprise sont habilités à négocier.

Leurs attributions vont du simple droit d’être informés à un véritable droit de véto notamment sur les licenciements ainsi que sur les mutations de salariés.

Les syndicats ne sont pas présents au sein de ce conseil d’entreprise.

Rappelons que l’installation d’un conseil d’entreprise en Allemagne se fait à l’initiative des salariés (les cadres en sont exclus) et non, comme en France, par une obligation législative.

Si un employeur souhaite négocier, pour son entreprise, un accord particulier, il le fait avec les syndicats de la branche.

Pour mémoire, les représentants syndicaux de la branche ne sont pas des salariés de l’entreprise souhaitant négocier un accord.

Cette approche de la « démocratie sociale », manifestation du principe de subsidiarité, est inscrite dans la Loi fondamentale allemande et a favorisé le développement de syndicats puissants et représentatifs.

Cela dit, l’écart de salaires entre les personnes relevant de la confédération allemande des syndicats (DGB) des autres personnes relevant de contrats précaires s’est considérablement accentué.

Les bas salaires, en Allemagne, continuent à creuser les inégalités sociales, situation générée par les lois Hartz, élaborées par le gouvernement avec l’appui des syndicats et des fédérations patronales.

En France, le péché originel du syndicalisme français perdure encore et toujours.
Issu de violentes luttes sociales, il se caractérise par un émiettement peu propice à l’unité d’action.

Fortement « idéologisé » le syndicalisme français, au-delà de ses nombreuses organisations représentatives et de leurs multiples structures internes n’ayant aucun lien juridique entre elles, souffre de trois maux empêchant irrémédiablement l’émergence d’une vision économique et sociale répondant aux attentes des salariés :

- la non-reconnaissance chronique des organisations syndicales comme interlocuteurs « valables » par les organisations patronales.

Ils se connaissent mais ne se reconnaissent pas,

- ce qui suscite un interventionnisme structurel de l’Etat dans le dialogue social.
C’est le législateur qui impose les règles du dialogue social et non les acteurs concernés comme en Allemagne,

- et sans oublier, la dépendance juridique du délégué syndical envers son employeur.
Peut-on réellement négocier en toute indépendance lorsque l’on est tenu par un lien de subordination ?

Enfin, dans le cadre des négociations de branche, il existe un biais latent, celui d’ignorer que toute négociation se fait avec des acteurs clairement identifiés.

Or, dans le cadre de ces négociations de branches voire dans celles des grandes entreprises, le dialogue s’instaure entre les représentants de salariés et ceux des employeurs.

Mais ces employeurs (2) sont rarement les actionnaires majoritaires des entités qu’ils représentent (3).

On assiste alors de fait à des négociations entre deux catégories bien distinctes de salariés : des représentants syndicaux salariés et des représentants des employeurs également salariés.

Ce qui laisse, finalement, la possibilité aux apporteurs de capitaux et aux actionnaires des entreprises adhérentes (aux branches professionnelles) de se départir des engagements pris par leurs représentants.

C’est peut-être une des raisons de la faible portée juridique des accords collectifs signés ?

A ce propos, il n’existe pas à ma connaissance de démarche structurée engagée par les partenaires sociaux visant à observer, mesurer et analyser les effets qualitatifs des différents accords signés au sein des branches professionnelles. Les partenaires signent des accords sans s’inquiéter concrètement de leurs impacts sur le plan économique et social du secteur professionnel, champ conventionnel de leur partenariat.

Les accords sont censés être performatifs.

Il existe bien d’autres biais dans la négociation collective en France qui rendent impossible l’instauration d’une véritable concertation pouvant aboutir à un partage du pouvoir dans les entreprises. Mais l’objet de cette intervention n’est pas de faire l’inventaire des biais du dialogue social en France.

Pour conclure sur la réelle capacité des apporteurs de travail à participer à la construction stratégique3 de l’entreprise et au-delà de ces deux conceptions du dialogue social diamétralement opposées, ne perdons pas de vue deux tendances de fond :

- depuis plusieurs années, l’OIT constate un lent déclin du syndicalisme dans le monde - effet collatéral de la globalisation – qui est dû à la valorisation de l’individu au détriment de celle du collectif – effet de la vision idéologique du libéralisme (there is no society only individuals) –

- ni les entreprises, ni les branches professionnelles auxquelles elles adhèrent ne sont maîtres de la détermination des éléments constitutifs de leurs marges. – effet de l’imbrication toujours plus étroite des Grandes Entreprises dans les transactions marchandes -.

En effet, dans le cadre de cette globalisation des chaînes de production, la notion de filière se substitue à celle de branche.

Ainsi, si l’on prend, pour exemple, la filière automobile, c’est le donneur d’ordre qui impose, directement et par effet de cascade, à tous les acteurs contributifs de celle-ci, les coûts de fabrication indépendamment du résultat de la négociation collective (portant généralement sur les salaires) produite dans les différentes branches (métallurgie, plasturgie, textile, …) des entreprises impliquées.

3. QU’EST- CE QUE L’ENTREPRISE SINON UNE MACHINE A CASH POUR UNE POIGNEE D’ORGANISATIONS !

A ce stade de mon propos, nous ne sommes pas plus avancés qu’au début.
Nous ne savons toujours pas qui est le véritable propriétaire de l’entreprise, celui qui, derrière les paravents technico-juridiques, décide de son utilité réelle.

Il ne s’agit pas, vous l’avez compris, d’évoquer l’artisan ou le commerçant qui officie au coin de votre rue, ni de la PE voire la TPE de votre zone artisanale.

Non, il est question, ici, des Grandes Entreprises, celles que l’on nomme les « Firmes Multi ou trans nationales » (FMN).

En 2011, à partir d’une base de données répertoriant plus de 37 millions d’entreprises et d’investisseurs dans le monde, une équipe de chercheurs suisses a pu identifier 43 060 sociétés transnationales reliées entre elles par leurs valeurs mobilières. Ces chercheurs ont, ensuite, tenté de comprendre la structure du pouvoir économique qui les animait (l’intrication des réseaux d’actionnariat couplés aux revenus d’exploitation de chaque entreprise).

Ce faisant, ils ont isolé un noyau de 1°318 entreprises qui, par le biais de leurs actions, détenaient collectivement la majorité des grandes entreprises mondiales de premier ordre représentant plus de 60% des revenus mondiaux. En démêlant davantage cet écheveau de propriété, ces chercheurs ont constaté qu’une grande partie de celui-ci remontait à une super entité de 147 entreprises encore plus étroitement liées contrôlant 40% de la richesse totale dudit réseau.

SUPER-ENTITE ESSENTIELLEMENT COMPOSEE D’INSTITUTIONS FINANCIERES.

Et, pour consolider davantage leur réseau, ces entreprises entreprennent régulièrement de racheter leurs propres actions.

Ce qui, pour tout bon père de famille soucieux de la bonne gestion de son patrimoine, reste foncièrement incompréhensible : vider son compte en banque pour augmenter sa dette envers son propre créancier (qui est généralement sa banque) ?

En 2021, selon l’AGEFI (journal suisse de l’information politique, économique et financière), ce sont près de 25 milliards d’€ qui ont été dépensés par plus de la moitié (67) des sociétés cotées au sein de la Société des Bourses Françaises – SBF 120 - (indice boursier cotant les 120 valeurs les plus liquides de la Bourse de Paris) pour racheter leurs propres actions.

Pour autant, cela ne représentait que 3% des dépenses réalisées par les entreprises américaines cotées au S&P 500 (indice boursier cotant les 500 grandes sociétés cotées sur les bourses étatsuniennes) pour la même démarche, soit près de 850 milliards de $.

Il faut dire que les entreprises américaines sont gorgées de cash. Fin septembre 2021, elles étaient assises sur 3 780 milliards de $ de trésorerie, soit près de 1,5 fois le PIB de la France.

Pour plus de clarté, rappelons que Vanguard, BlackRock et State Street (sociétés américaines d’investissements et de placements financiers) possèdent à elles trois près de 90% de toutes les entreprises du S&P 500.

Ce petit rappel de « qui possède qui », permet de comprendre les raisons qui poussent les grands groupes internationaux à racheter leurs propres actions. Cela a, pour eux, l’avantage de concentrer plus encore le capital aux mains d’un nombre de plus en plus restreint d’actionnaires, améliorant au passage le ratio dividende/action, et de compenser l’effet dilution généré par la création de nouvelles actions liées aux plans de stock-options, aliénant encore plus le management supérieur aux ambitions spéculatives des actionnaires.

Inutile de se lamenter sur l’amputation d’une partie de la trésorerie des entreprises (pour financer le rachat de leurs propres actions) les privant ainsi des investissements productifs nécessaires à leur développement. Ce sont les Etats qui, par l’endettement public, les aident financièrement ne serait-ce que pour garder à flot les emplois utiles à leur fonctionnement et à la stabilité sociale des territoires dans lesquels elles exercent leurs activités.

Enfin, vous comprendrez aisément la volonté de ces entreprises à maintenir les salaires bas. Les augmenter obèrerait considérablement leur marge et diminuerait de fait le ratio dividende /action.

Pour répondre aux questions : « A qui appartient l’entreprise ? » et « Quelle finalité poursuit-elle ? », j’avancerais bien une hypothèse.

Le pouvoir économique de l’entreprise n’est détenu ni par les actionnaires apparents, ni par les salariés ou les dirigeants, ni par les « politiques » mais par la place qu’elle occupe dans le réseau actionnarial des FMN, d’une part et d’autre part, dans celle de la supply-chain globalisée qui lui sera attribuée (sera-t-elle un donneur d’ordre, un fournisseur de rang 1, 2 ou + ?).

Vu sous cet angle, le but ultime de l’entreprise est bien d’assurer, à une poignée d’organisations dont les rênes sont détenues par un groupuscule d’individus, de confortables dividendes.

Mais, cette « efficacité économique », cette création de la valeur est en réalité un leurre. Elle s’étalonne sans la prise en compte des effets négatifs sur l’environnement et la population des territoires dans lesquels l’entreprise exerce son activité. Elle se fait par le pillage irraisonné des ressources de la planète.
Une véritable prédation se traduisant par une accélération des déséquilibres climatiques, l’apparition de virus endémiques, l’accroissement des migrations humaines et la disparition d’espèces vivantes qu’elles soient animales ou végétales. Sans oublier, naturellement, que cette prédation reste la principale cause des conflits et guerres dans les différentes parties du globe.

Pour faire face aux effets engendrés par ces nuisances, appelées pudiquement par les économistes « externalités négatives », dues à l’activité générée par ces grandes entreprises, plusieurs pays victimes de ces prédations ont sollicité l’ONU pour mettre fin à ces exactions.

Le pacte Mondial de l’ONU

Aussi, pour inciter les entreprises du monde entier à adopter une attitude socialement responsable en s’engageant à intégrer et à promouvoir plusieurs principes relatifs aux droits de l’Homme, aux normes internationales du travail, à l’environnement et à la lutte contre la corruption, le secrétaire général de l’ONU propose, en 1999, l’idée d’un Pacte Mondial.

A ce jour, 160 pays sont signataires de ce pacte et près de 10 000 entreprises et organisations non gouvernementales y ont adhéré. Il faut souligner que ce pacte n’est pas une norme, ni une certification mais un cadre d’engagement que l’entreprise promet de respecter.

Les effets directement liés aux 10 principes définis par le Pacte Mondial restent, cependant, plus que confidentiels. D’une part parce que cette initiative est peu connue ou volontairement ignorée. Et d’autre part, parce que l’analyse des quelques expériences menées par les entreprises adhérentes montre que les actions sur lesquelles elles se sont engagées restaient limitées et surtout n’entravaient pas de manière drastique l’expansion de leurs profits.

L’initiative française : A la recherche de la raison d’être de l’entreprise.
La France, inquiète des dérives prédatrices de ces entreprises, entend, comme à son habitude, légiférer pour « obliger » celles-ci à prendre en compte les enjeux sociaux et environnementaux de leurs activités et de définir leur « raison d’être » au-delà du seul intérêt de leurs actionnaires.

Pour ce faire, pas moins de quatre ministres pour confier à deux parangons du monde de l’entreprise le soin d’étudier les différentes actions pouvant être mises en œuvre pour répondre à cette ambition.

Ainsi, en mars 2018, Jean-Dominique Senard - président du groupe Michelin - et Nicole Notat - ancienne N°1 de la CFDT et PDG de VIGEO - remettent leur rapport intitulé "L’entreprise, objet d’intérêt collectif" au ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, au ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, à la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, et à la ministre de la Justice, Nicole Belloubet.

Le rapport formule 14 recommandations en ce sens. Mais, dès la 1ère recommandation le ton est donné. Rien de juridiquement contraignant ni de révolutionnairement antilibéral ne vient perturber la quiétude des actionnaires (cf. recommandation n°1 : la société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité).
L’entreprise reste la propriété exclusive des actionnaires. Leurs intérêts privés priment sur l’intérêt collectif. Le reste du rapport n’est qu’un « vibrant et émouvant appel » à la bonne volonté des entreprises.

Le 26 mars 2018, la ligue des droits de l’Homme interpelle les quatre ministres concernés en leur rappelant que pour réconcilier l’entreprise avec la société, il conviendrait d’actualiser les articles 1832 et 1833 du code civil ainsi que l’article L225-35 du code du commerce et proposèrent à cet égard plusieurs modifications en ce sens.

Le gouvernement n’en tint pas réellement compte. Les modestes modifications apportées renvoyaient toujours à la bonne volonté des entreprises.

Ce rapport ne fut, en fin de compte, qu’une transposition au niveau d’un pays (ici, la France) de directives portées par des organisations internationales sous l’influence des FMN.

On prête à Albert Einstein la formule suivante : on ne règle pas les problèmes avec ceux qui les ont créés.

4. DE LA NECESSITE DE RETABLIR LA CHAINE DE VALEUR REPUBLICAINE !

Selon Alain Supiot, la Responsabilité Sociale des Entreprises, issu du pacte de l’ONU, n’est pas un remède susceptible de conjurer les détraquements sociaux et environnementaux engendrés par la globalisation mais bien un symptôme d’une crise de l’idéologie économique.

Ce pacte mondial de l’ONU a néanmoins mis en évidence trois effets pervers :

- plutôt que de se soumettre à un cadre législatif contraignant, des pays dans lesquels elles sont implantées, les entreprises promettent de respecter les recommandations émanant d’organisations intergouvernementales. Ainsi, s’installe progressivement une nouvelle hiérarchie des normes juridiques dont le niveau supérieur serait la « soft-law »,

- le rôle grandissant des FMN comme acteur principal des relations internationales,

- le retrait progressif des Etats confirmant la domination des enjeux économiques sur les considérations politiques.

- L’inversion de la chaîne des valeurs : Jusque dans les année 70, l’idée communément acceptée par les Etats soulignait la primauté de la souveraineté politique sur la souveraineté juridique ; celles-ci encadrant conséquemment la souveraineté économique.

Souveraineté politique ➔ souveraineté juridique ➔ souveraineté économique

Mais dès le début des années 80, sous influence de l’Ecole de Chicago, nombre de gouvernements se font les chantres du libéralisme économique, c’est-à-dire de l’économie de marché renvoyant ainsi les Etats au rôle de garant des libertés et des droits individuels de leurs gouvernés. L’Ecole de Chicago supplantant la théorie Keynésienne, l’économie devint le socle de toute philosophie politique. Et la globalisation, le mécanisme technique qui matérialisa cette idéologie.

Cette chaîne de valeur se traduit, aujourd’hui, par la primauté de l’économie de marché qui impose la subordination juridique pour mieux encadrer la soumission politique.

Primauté économique ➔ subordination juridique ➔ soumission politique

Laisser les ambitions économiques prendre l’ascendant sur les enjeux politiques induit inexorablement la prééminence des droits individuels sur les droits collectifs renforçant ainsi les communautés au détriment des nations, conduit à l’emprise du droit anglo-saxon sur le droit continental et pour finir, valide la supériorité de l’engagement volontaire (soft law) sur l’obéissance à la loi.

L’échec de la démarche française pour redéfinir la finalité de l’entreprise montre combien il est nécessaire et important, pour retrouver notre souveraineté juridique, de recouvrer d’abord notre souveraineté politique.

Une des premières démarches pour cela serait d’arrêter de démanteler notre souveraineté nationale au profit d’entités non élues dont les valeurs sont aux antipodes de celles de la République. Et de reconsidérer à l’aune de ces valeurs tous les traités signés par l’Etat avec toutes les organisations intergouvernementales porteuses de l’ambition économique néolibérale.

Car, sans le dire expressément mais en le réalisant systématiquement, le fondement même de cette ambition économique néolibérale est d’assujettir la démocratie ainsi que toute forme d’organisation politique aux règles du marché.

Cette démarche relève du fait politique. Pour être engagée, elle nécessite une mobilisation citoyenne qui dépasse le cadre de ce colloque.

Pour autant, une série de trois actions pourraient être mise en œuvre.

La première serait de redéfinir la notion d’efficacité économique lorsque l’on évoque les profits engrangés par les FMN.

Peut-on raisonnablement laisser dire qu’une entreprise est efficace au regard du bénéfice qu’elle génère et des dividendes qu’elle redistribue alors que les conséquences de son activité ont engendré des effets sociaux, sociétaux et environnementaux désastreux dont les coûts financiers sont à la charge des Etats voire des particuliers ?

Les bénéfices pour les actionnaires, des salaires étriqués et les maladies professionnelles pour les salariés, les effets de la dégradation de l’environnement pour les populations et l’exposition à des maladies et troubles physiques et psychiques pour les consommateurs des produits dont les effets à long terme sont volontairement ignorés par les grandes entreprises.

Dès les années 70, Milton Friedman (prix Nobel d’économie) proclamait que l’unique responsabilité sociale de l’entreprise était de faire des profits. Depuis, chercheurs, enseignants, journalistes, et autres gourous médiatiques n’ont cessé de véhiculer ce mantra.

Quelle catastrophe sociale, écologique ou humanitaire nouvelle faudra-t-il que l’humanité subisse pour que ces thuriféraires de l’économie de marché comprennent qu’il est de leur responsabilité de dénoncer cette vision mortifère du rôle de l’entreprise ?

Il faut cesser de véhiculer cette pensée qui veut que les apporteurs de capitaux soient responsables des profits engendrés par les entreprises, et les salariés et la population victimes des dégâts que ces entreprises génèrent.

L’entreprise doit être au service du bien commun et non à la destruction de celui-ci.
Cette première action permettrait d’engager la deuxième, celle de lier dividendes et externalités négatives, afin de rappeler aux acteurs économiques que la liberté d’entreprendre ne signifie pas « capter les profits et fuir les responsabilités ».

Et, enfin la troisième, indépendante des précédentes serait de faire le constat de la faillite des organisations syndicales et de leur incapacité à se poser comme contre-pouvoir efficace et à répondre ainsi aux attentes des salariés.

Il faut bien le reconnaître, les organisations syndicales et leurs responsables font partie de ce système néolibéral, même si en apparence elles entendent le combattre.
Un système néolibéral qui refuse de les voir participer au gouvernement de l’entreprise et limite considérablement leur implication et leur influence dans la gouvernance de celle-ci.

(1) 1 Pouvoir attribué par le législateur (cf. article 1832 et suivants du Code Civil)
Et le pouvoir, par essence même de la nature humaine, ne se partage pas.

(2) Concernant les branches, les personnes représentant les employeurs sont dans la majorité des cas des salariés, très rarement des « patrons ».

(3) Rappelons que si les organisations syndicales participent à la gouvernance d’une entreprise, elles ne participent jamais à son gouvernement.

1 Message

  • AGIR EFFISCIENT, c’est infiltrer les complicités entre pouvoirs politique et pouvoirs financiers

    Le 19 mars 2023 à 19:39 par jean marie GRIFFON

    C’est dailleurs ce qu’a retenu A.B.dans sa stratégie à lancer au niveau local, plus fac ile à jouer et a décoder dans la proximité des jeux politiques locaux , en particulier électoraux. P. Gégeir, auteur du message "DE LA RICHESSE DES NATIONS A LA RICHESSE DES ORGANISATIONS." en est donc l’inspirateur, ayant bien pompé au départ ces experts suisses, évidemment toujours les meilleurs en matière"billets artistiques" !!
    Tout le reste qui enrichit ce nouveau groupe créé récemment et foranimé par les jeunes loups affutés, , permet certes de déranger le beau monde et de vendre des gagoules pas cher, mais ça tourne en rond et souvent en ju de boudin
    Mais ce que j’en dis, c’est pour seulement apporter ma pierre philosophale à un débat qui me dépasse, vision périmée mais toujours réinventée ?
    Cette fois, le modérateur va fraiment se Fâcher
    Je lui présente mes excuses
    cordialiés multiples
    Jean marie GRIFFON

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